Pénal

Prêts en francs suisses : quels recours et dans quels délais ?

Estelle Marant
Collaboratrice
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Quand agir contre un prêt en devise ? Règles de prescription à connaître

Les prêts libellés en devise étrangère, et notamment en francs suisses, ont suscité un important contentieux en France, révélant de nombreuses incertitudes tant sur le plan contractuel que sur celui de la prescription des actions.

Face à l’ampleur des préjudices subis par les emprunteurs, liés notamment à la volatilité des taux de change, plusieurs fondements juridiques ont été invoqués devant les juridictions : nullité du contrat, reconnaissance de clauses abusives, restitution des sommes versées ou encore responsabilité pour manquement au devoir de mise en garde.

Cependant, chaque type d'action est soumis à un régime spécifique de prescription, dont le point de départ et la durée varient en fonction de la nature du grief invoqué. Ces règles, complexes, ont fait l’objet d’interprétations parfois divergentes, jusqu’à ce que la jurisprudence récente, tant française qu’européenne, apporte des clarifications déterminantes.

Dans ce contexte, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Colmar le 24 juillet 2024 constitue une décision de référence, en ce qu’il rassemble et explicite les principales règles relatives à la prescription des actions utiles dans les litiges nés de prêts en devise. À travers cette décision, il est désormais possible d’appréhender avec plus de certitude les délai de recevabilité des différentes actions contentieuses envisageables par les emprunteurs.

Sommaire

  1. Introduction
  2. La prescription de l’action en nullité absolue du prêt en devise
  3. L’action en suppression de clauses abusives
  4. La prescription de l’action en restitution fondée sur la clause abusive
  5. La prescription de l’action en responsabilité pour manquement au devoir de mise en garde
  6. Conclusion
  7. FAQ

La prescription de l’action en nullité absolue du prêt en devise

Selon une jurisprudence constante, le point de départ du délai de prescription de l’action en nullité absolue commence à courir le jour de la signature de l’acte supposé nul, conformément à l’article 2224 du Code civil et à l’interprétation qui en est faite par la Cour de cassation.

Dans le cas des prêts remboursables dans une monnaie étrangère, la nullité peut être soulevée au regard de l’article 1343-3 du Code civil, qui interdit que la monnaie de paiement soit autre que l’euro dans les opérations internes. Toutefois, une telle action en nullité, bien qu’absolue, reste prescriptible, et ce dès la signature du contrat, comme l’a confirmé la cour d’appel de Colmar dans son arrêt du 24 juillet 2024.

Exemple : un prêt conclu le 16 juillet 2004 est frappé de nullité potentielle en raison d'une clause imposant le remboursement en franc suisse. L’action en nullité intentée en 2021 est prescrite, puisque le délai a commencé à courir en 2004.

L’action en suppression de clauses abusives : imprescriptible

La demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive, au sens de l’article L. 212-1 du Code de la consommation (anciennement L. 132-1), est imprescriptible. En d’autres termes, aucun délai de prescription ne peut être opposé au consommateur lorsqu’il sollicite la suppression judiciaire d’une clause contractuelle manifestement déséquilibrée, insérée par un professionnel dans un contrat conclu avec un non-professionnel ou un consommateur.

Cette solution repose sur l’interprétation combinée des articles 6 §1 et 7 §1 de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993, qui constitue le fondement du droit européen des clauses abusives.

Dans deux arrêts majeurs rendus le 10 juin 2021 (affaires C-776/19 à C-782/19), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a confirmé que ces dispositions s'opposent à toute réglementation nationale soumettant à prescription l'action tendant à faire constater le caractère abusif d’une clause contractuelle.

L’objectif est clair : garantir une protection effective du consommateur. Selon la CJUE, l’application d’un délai de prescription risquerait de priver le consommateur de ses droits, notamment s’il ignore l’existence ou la portée juridique du caractère abusif de la clause au moment de la signature du contrat. Il est donc impératif que l’action visant à faire constater l’abus ne soit pas limitée dans le temps.

Concrètement, cela signifie que le consommateur peut agir à tout moment, même plusieurs années après la conclusion du contrat, pour demander à ce que la clause litigieuse soit réputée non écrite. Cette qualification entraîne l’annulation de la clause concernée, comme si elle n’avait jamais existé, sans affecter le reste du contrat, sauf si celui-ci ne peut subsister sans ladite clause.

En pratique, la banque ou tout autre professionnel ne peut invoquer la prescription quinquennale de droit commun prévue à l’article 2224 du Code civil pour faire échec à une telle action.

Cette solution a été intégrée dans la jurisprudence interne, notamment par la cour d’appel de Colmar dans son arrêt du 24 juillet 2024, qui a rappelé que l’action déclaratoire fondée sur le caractère abusif d’une clause échappe à toute prescription.

Ainsi, cette imprescriptibilité constitue un levier puissant à disposition des emprunteurs, particulièrement dans le cadre des prêts libellés en devises étrangères, souvent entachés de clauses susceptibles d’être qualifiées d’abusives, notamment en ce qu’elles transfèrent excessivement le risque de change sur l’emprunteur sans information préalable adéquate.

La prescription de l’action en restitution fondée sur la clause abusive

Si l’action visant à constater le caractère abusif d’une clause contractuelle est reconnue comme imprescriptible, il n’en va pas de même de l’action tendant à obtenir la restitution des sommes versées sur le fondement de cette clause.

En droit français, l’article 2224 du Code civil prévoit que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Appliqué à la matière contractuelle, ce texte encadre l’action en restitution dans le cadre d’un prêt contenant une clause déclarée abusive.

Toutefois, cette règle doit être articulée avec les exigences du droit de l’Union européenne, notamment les articles 6 §1 et 7 §1 de la directive 93/13/CEE, qui imposent une protection effective du consommateur. Dans son arrêt du 9 juillet 2020 (C-698/18), la CJUE a expressément jugé que le délai de prescription applicable à l’action en restitution fondée sur une clause abusive ne pouvait pas courir à partir de la date d’exécution intégrale du contrat ou de sa signature, si cela a pour effet de priver le consommateur de la possibilité effective d’exercer son droit à remboursement.

En d'autres termes, le délai de cinq ans ne commence à courir qu’à compter de la date de la décision judiciaire ou de l’accord constatant le caractère abusif de la clause concernée. La connaissance réelle du droit à restitution ne peut être présumée tant que le caractère abusif de la clause n’a pas été reconnu judiciairement ou expressément admis par le professionnel.

Cette solution a été clairement réaffirmée par la cour d’appel de Colmar dans son arrêt du 24 juillet 2024, qui s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence européenne. La juridiction alsacienne a en effet retenu que le point de départ du délai de prescription de l’action en restitution ne pouvait être fixé à la date de conclusion du contrat, mais à la date de l’arrêt constatant l’abus, dans le respect des principes d’effectivité et d’équivalence posés par le droit de l’Union.

Ainsi, un consommateur ayant versé des intérêts ou commissions indues sur le fondement d’une clause jugée abusive peut en demander le remboursement pendant cinq ans à compter de cette reconnaissance, et non à partir de la souscription du prêt. Cela représente une protection renforcée pour les emprunteurs, qui ne sont pas tenus d’anticiper des subtilités juridiques complexes au moment de la signature du contrat.

Cette articulation entre le droit interne et le droit européen permet d’assurer que la sanction du caractère abusif d’une clause ait une véritable portée concrète, en autorisant le recouvrement effectif des sommes injustement perçues par le professionnel, même des années après l’exécution du contrat.

La prescription de l’action en responsabilité pour manquement au devoir de mise en garde

Le devoir de mise en garde impose au banquier de prévenir l’emprunteur non averti sur les risques liés à l’opération de crédit. En cas de manquement, l’emprunteur peut engager la responsabilité du prêteur sur le fondement des articles 1240 et suivants du Code civil.

Toutefois, cette action est soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil. La difficulté réside dans la détermination du point de départ de ce délai. Si, autrefois, la jurisprudence retenait la date de conclusion du contrat, une évolution notable a été opérée.

La chambre commerciale de la Cour de cassation, par un revirement, considère désormais que le délai commence à courir à la date d’exigibilité des sommes impayées – autrement dit, lorsque le dommage se manifeste réellement, à savoir l’impossibilité de faire face au remboursement.

Exemple : pour un prêt « in fine » arrivant à échéance le 11 février 2020, le délai commence à courir à cette date. Une action en responsabilité intentée avant le 11 février 2025 sera donc recevable.

Apport de la jurisprudence récente et sécurité juridique

L’arrêt rendu par la cour d’appel de Colmar le 24 juillet 2024 constitue une référence notable en matière de prescription des actions judiciaires liées aux prêts en devise étrangère.

Il opère une synthèse rigoureuse des grandes orientations jurisprudentielles récentes, en conjuguant exigence de clarté juridique et protection effective des emprunteurs.

Cette décision illustre une volonté de concilier le droit interne français avec les exigences du droit de l’Union européenne, notamment à travers une application conforme aux articles 6 et 7 de la directive 93/13/CEE et aux principes d’effectivité et d’équivalence.

Trois enseignements majeurs peuvent être dégagés de cette décision :

  1. Le point de départ du délai de prescription de l’action en nullité absolue d’un prêt libellé en devise est fixé à la date de signature du contrat, conformément à une jurisprudence constante de la Cour de cassation, notamment en matière de prêt portant atteinte au cours légal de la monnaie (article 1343-3 du Code civil).
  2. L’action en reconnaissance du caractère abusif d’une clause contractuelle est imprescriptible, conformément à la jurisprudence de la CJUE, ce qui permet aux emprunteurs de solliciter à tout moment la suppression d’une clause déséquilibrée, même plusieurs années après l’exécution du contrat. Toutefois, l’action en restitution des sommes versées en exécution de cette clause reste soumise à la prescription quinquennale, dont le délai court à compter de la décision reconnaissant l’abus.
  3. Le délai de prescription de l’action en responsabilité pour manquement au devoir de mise en garde ne commence pas à la signature du contrat, mais à la date d’exigibilité des sommes que l’emprunteur n’a pas été en mesure de rembourser. Cette position est aujourd’hui largement confirmée par la jurisprudence, notamment par la chambre commerciale et la première chambre civile de la Cour de cassation.

Ces clarifications sont fondamentales pour les emprunteurs souhaitant engager une action contre un établissement bancaire à la suite d’un prêt indexé ou libellé en devise étrangère. Elles leur permettent de mieux évaluer la recevabilité de leurs actions, d’éviter une forclusion injustifiée, et de s’appuyer sur des fondements juridiques solides.

Pour être pleinement informé sur vos droits bancaires, les délais de prescription applicables, et les stratégies contentieuses adaptées, vous pouvez consulter les ressources juridiques disponibles sur defendstesdroits.fr.

Conclusion

Les règles de prescription applicables aux prêts en devise dessinent aujourd’hui un paysage juridique stabilisé, fondé sur un équilibre entre la protection des consommateurs et la sécurité juridique des professionnels. Si les actions en nullité absolue restent enfermées dans des délais stricts, l’imprescriptibilité des actions fondées sur le caractère abusif des clauses consacre une avancée majeure pour les emprunteurs.

Quant à l’action en indemnisation pour manquement au devoir de mise en garde, sa temporalité, désormais fixée à la date d’exigibilité des sommes impayées, conforte une lecture pragmatique du dommage.

Cette articulation subtile entre délais de prescription et nature des actions montre que la vigilance reste de mise, tant pour les praticiens que pour les emprunteurs. Une analyse rigoureuse de chaque fondement juridique est donc indispensable pour déterminer la recevabilité des actions engagées à l’encontre des établissements prêteurs.

Les justiciables confrontés à un prêt libellé en devise étrangère ont tout intérêt à se faire accompagner afin de déterminer la nature exacte de leurs recours et la computation des délais applicables. Le site defendstesdroits.fr met à disposition des ressources fiables et actualisées pour éclairer leurs démarches.

FAQ

1. Quel est le point de départ du délai de prescription pour demander la nullité d’un prêt libellé en devise étrangère ?

Le point de départ du délai de prescription d’une action en nullité absolue est, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, la date de signature du contrat de prêt. Ce principe s’applique même si la clause de remboursement en devise étrangère est contraire à l’article 1343-3 du Code civil, qui impose que le paiement d’une obligation en France soit effectué en euros sauf accord particulier dans un contexte international. La prescription de droit commun étant quinquennale, l’emprunteur qui souhaite faire annuler un tel contrat doit donc agir dans les cinq ans suivant la conclusion du prêt, sauf suspension ou interruption de ce délai.

2. Peut-on agir à tout moment pour faire supprimer une clause abusive dans un prêt en devise ?

Oui. L’action visant à faire reconnaître le caractère abusif d’une clause contractuelle et à la faire réputer non écrite est imprescriptible. Ce principe découle des articles 6§1 et 7§1 de la directive 93/13/CEE sur les clauses abusives, tels qu’interprétés par la CJUE. La jurisprudence européenne interdit toute règle nationale qui soumettrait cette action à un délai de prescription, car cela pourrait priver le consommateur de son droit à une protection effective. Ainsi, même plusieurs années après la souscription du contrat, un consommateur peut demander l’annulation d’une clause qu’il juge abusive, sans risque d’irrecevabilité pour cause de prescription.

3. Existe-t-il un délai pour obtenir la restitution des sommes versées en application d’une clause abusive ?

Oui, contrairement à l’action en reconnaissance du caractère abusif d’une clause, l’action en restitution des sommes indûment versées sur cette base est prescriptible. Toutefois, le point de départ du délai de prescription ne court pas à la date de conclusion du contrat, mais à la date de la décision de justice ou de l’accord ayant constaté le caractère abusif de la clause. Cette solution est conforme à la jurisprudence de la CJUE, qui exige que le consommateur ait connaissance effective de ses droits avant que le délai de prescription ne commence à courir, en vertu du principe d’effectivité. Ainsi, un consommateur dispose de cinq ans à compter de cette reconnaissance pour réclamer les sommes versées indûment.

4. Quel est le délai pour agir contre une banque en cas de manquement à son devoir de mise en garde ?

L’action en responsabilité civile contractuelle pour manquement au devoir de mise en garde est soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil. Le point de départ de ce délai n’est pas la date de signature du contrat, mais la date à laquelle les sommes prêtées deviennent exigibles et que l’emprunteur ne peut pas rembourser. Cette interprétation a été confirmée par la chambre commerciale de la Cour de cassation, puis reprise par la cour d’appel de Colmar. Cela signifie qu’un emprunteur peut agir tant que cinq années ne se sont pas écoulées depuis l’échéance qu’il ne peut pas honorer, même si le contrat remonte à plusieurs années. Ce raisonnement est particulièrement applicable dans le cas des prêts in fine, où le remboursement du capital n’intervient qu’à la fin du prêt.

5. Peut-on cumuler plusieurs actions en justice concernant un prêt en devise (nullité, restitution, responsabilité) ?

Oui, un emprunteur peut cumuler différentes actions : il peut contester la validité du contrat (nullité), demander la restitution des sommes versées sur le fondement d’une clause abusive, et engager la responsabilité du prêteur pour manquement à son devoir d’information ou de mise en garde. Toutefois, chaque action obéit à son propre régime de prescription. Il est donc essentiel de bien identifier les fondements juridiques invoqués et de vérifier les délais applicables à chacune des demandes. Ce cumul n’est recevable que si toutes les actions sont exercées dans les délais légaux qui leur sont propres. D'où l'importance d’un accompagnement juridique adapté pour articuler efficacement les différents recours possibles.

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