Face aux fluctuations d’activité qui marquent la vie économique de nombreuses entreprises, le cadre hebdomadaire de 35 heures fixé par la loi (article L3121-27 du Code du travail) peut apparaître inadapté. Pour répondre à ces variations, la législation permet aux employeurs de recourir à un dispositif spécifique : l’annualisation du temps de travail.
Ce mécanisme, intégré dans le régime général d’aménagement du temps de travail depuis la loi du 20 août 2008 (loi n°2008-789), permet d’organiser la durée du travail sur une période d’un an plutôt que semaine par semaine. L’intérêt est double : offrir une souplesse organisationnelle aux entreprises et permettre aux salariés de conserver une rémunération stable malgré des semaines d’activité inégale.
Encore faut-il respecter scrupuleusement les conditions prévues par le Code du travail et, en particulier, négocier un accord collectif définissant les modalités pratiques. L’annualisation ne se résume pas à une simple flexibilité, elle implique une gestion rigoureuse des heures de travail, des absences et des droits des salariés.
L’annualisation est une modalité d’aménagement du temps de travail qui consiste à répartir les heures de travail d’un salarié sur l’année entière. L’objectif est de répondre aux besoins variables de l’entreprise tout en respectant la durée annuelle légale fixée à 1 607 heures pour un temps complet (article L3121-41 du Code du travail).
Ainsi, un salarié peut effectuer 42 heures certaines semaines et 28 heures d’autres, sans que l’employeur soit tenu de rémunérer immédiatement des heures supplémentaires, tant que le seuil annuel n’est pas dépassé.
⚠️ En revanche, les plafonds journaliers et hebdomadaires (10 heures par jour, 48 heures par semaine, article L3121-20 et L3121-22 du Code du travail) restent impératifs.
Pour l’entreprise, l’annualisation constitue un outil de gestion souple du personnel :
Cependant, cette souplesse implique une gestion administrative complexe, notamment pour le suivi des heures et la prise en compte des absences. Elle doit également préserver la motivation des salariés, qui peuvent percevoir une intensification de la charge de travail sur certaines périodes.
Le principe est simple : à la fin de la période de référence fixée à 12 mois, l’employeur doit vérifier si le salarié a bien accompli 1 607 heures.
L’accord collectif peut prévoir un seuil inférieur, déclenchant plus rapidement le paiement d’heures supplémentaires.
Les absences telles que congés payés, jours fériés, RTT ou arrêts maladie indemnisés sont considérées comme du temps de travail effectif et valorisées comme si le salarié avait travaillé.
Exemple : un salarié absent un jour férié dans une semaine chargée à 42 heures voit ce jour pris en compte sur la base de son horaire prévu, et non d’un horaire réduit.
Tous les salariés peuvent être concernés, qu’ils soient cadres, employés ou agents de maîtrise. Toutefois, l’annualisation ne peut pas s’appliquer de manière individuelle : elle doit viser un ensemble de salariés (service, équipe, établissement).
Pour les salariés à temps partiel, l’annualisation est possible mais nécessite leur accord exprès, faute de quoi leur contrat pourrait être requalifié en temps plein.
L’annualisation ne peut pas résulter d’une simple décision unilatérale de l’employeur. Elle doit être prévue par un accord collectif d’entreprise, d’établissement ou, à défaut, de branche.
Cet accord doit obligatoirement préciser :
En matière d’annualisation du temps de travail, l’organisation des horaires ne peut pas être modifiée de façon improvisée. L’employeur a l’obligation d’informer ses salariés de tout changement d’horaire dans un délai dit de prévenance.
Cela signifie que tout changement dans la répartition des heures de travail d’un salarié doit lui être communiqué au moins une semaine à l’avance.
⚠️ Le non-respect de ce délai peut avoir plusieurs conséquences :
Exemple : si un employeur décide un vendredi de modifier les horaires de la semaine suivante (lundi inclus), il ne respecte pas le délai légal de 7 jours. Le salarié peut contester cette modification et demander réparation.
La gestion de l’annualisation du temps de travail est complexe car elle suppose de suivre avec précision le nombre d’heures effectuées par chaque salarié sur une période de référence annuelle. Sans suivi rigoureux, l’employeur s’expose à des litiges relatifs au calcul des heures supplémentaires ou au respect des seuils légaux.
Pour cela, différents outils de gestion peuvent être mis en place :
Ce suivi est indispensable pour :
Exemple : une entreprise de logistique utilisant un logiciel de gestion peut anticiper les périodes de forte activité (comme les fêtes de fin d’année) et rééquilibrer les horaires en période creuse, tout en respectant le plafond annuel de 1 607 heures.
L’annualisation du temps de travail a une conséquence directe sur la rémunération des salariés. En pratique, deux méthodes principales coexistent :
Avec ce système, la rémunération du salarié est calculée en fonction des heures réellement effectuées chaque mois.
Ce système reflète exactement l’activité réelle, mais il peut entraîner une grande variabilité de revenu, difficile à supporter pour certains salariés, notamment lorsqu’ils ont des charges fixes (loyer, crédits, etc.).
Dans ce cas, la rémunération est lissée sur l’année entière. Le salarié perçoit chaque mois un salaire identique, calculé sur la base de la durée légale annuelle de 1 607 heures.
En fin de période, une régularisation est opérée :
⚠️ Avantage principal : le salarié bénéficie d’une stabilité de revenu, ce qui sécurise sa situation financière. C’est pourquoi la majorité des entreprises privilégient ce mécanisme.
Toute heure effectuée au-delà du plafond fixé par l’accord collectif (ou, à défaut, au-delà de 1 607 heures annuelles) constitue une heure supplémentaire et doit être rémunérée avec la majoration légale ou conventionnelle.
Exemple : si un salarié, au terme de son cycle annuel, a effectué 1 650 heures au lieu de 1 607 heures, les 43 heures excédentaires devront être rémunérées en heures supplémentaires, avec les majorations applicables.
L’accord collectif instaurant l’annualisation peut prévoir des règles particulières de rémunération, par exemple :
👉 En résumé, le paiement au réel reflète strictement les heures effectuées mais crée une instabilité financière, tandis que le lissage du salaire apporte une sécurité de revenu avec une régularisation en fin de période. Dans tous les cas, le respect des règles relatives aux heures supplémentaires est impératif pour garantir la conformité de la rémunération avec le Code du travail.
L’annualisation du temps de travail s’impose comme un outil juridique et organisationnel au service des entreprises confrontées à des variations d’activité. Elle permet de dépasser la rigidité du décompte hebdomadaire de 35 heures, tout en respectant la durée annuelle légale de 1 607 heures. Son intérêt principal réside dans la possibilité de moduler les horaires en fonction des besoins réels de l’activité, sans avoir recours systématiquement à des embauches temporaires ou au paiement massif d’heures supplémentaires.
Pour les employeurs, l’annualisation représente une souplesse stratégique, en particulier dans les secteurs saisonniers ou soumis à des pics de production. Toutefois, elle ne peut s’improviser : sa mise en place requiert un accord collectif d’entreprise ou de branche, garantissant la sécurité juridique du dispositif. Cet accord doit encadrer la répartition du temps de travail, prévoir les délais de prévenance en cas de modification des horaires et déterminer les seuils déclenchant les heures supplémentaires.
Du côté des salariés, l’annualisation soulève des enjeux de protection. Le salarié à temps plein ne peut refuser une annualisation instaurée par accord collectif, mais demeure protégé par les plafonds journaliers et hebdomadaires, qui assurent le respect des limites physiologiques de la durée du travail. Pour les salariés à temps partiel, leur consentement exprès est nécessaire, faute de quoi le contrat risque une requalification en temps plein, source de litige.
L’annualisation nécessite par ailleurs une gestion rigoureuse des absences rémunérées (congés payés, jours fériés, RTT, arrêts maladie), lesquelles doivent être intégrées comme du temps de travail effectif, conformément à la jurisprudence et aux dispositions légales. Elle suppose également un suivi précis des horaires réalisés grâce à des outils de gestion fiables, afin de prévenir tout contentieux relatif aux heures supplémentaires.
Enfin, la question de la rémunération demeure centrale. Si le lissage des salaires permet de sécuriser les revenus mensuels des salariés, il impose à l’employeur une vigilance accrue lors de la régularisation en fin de période. En cas de dépassement du plafond annuel ou conventionnel, les heures excédentaires devront impérativement être rémunérées comme heures supplémentaires avec les majorations correspondantes.
En définitive, l’annualisation du temps de travail ne doit pas être envisagée uniquement comme un instrument de flexibilité patronale. Elle constitue un équilibre délicat entre performance économique et protection sociale, un aménagement qui n’a de sens que s’il respecte les droits des salariés tout en répondant aux impératifs de compétitivité des entreprises. Bien encadrée, elle peut devenir un levier efficace de gestion des ressources humaines et un facteur de stabilité de l’emploi dans les secteurs les plus exposés aux variations conjoncturelles.
1. Qu’est-ce que l’annualisation du temps de travail selon le Code du travail ?
L’annualisation du temps de travail est un dispositif d’aménagement du temps de travail qui permet à l’employeur de répartir la durée du travail sur une période de référence d’un an, plutôt que de la limiter à la semaine. Selon l’article L3121-41 du Code du travail, la durée annuelle légale est de 1 607 heures pour un salarié à temps complet.
Exemple : un salarié peut travailler 45 heures certaines semaines lors de fortes activités, puis 28 heures lors de périodes plus calmes. Au terme de l’année, seul le cumul global compte, ce qui permet d’éviter le paiement immédiat d’heures supplémentaires, sauf si le seuil annuel est dépassé.
2. Quelle est la différence entre modulation et annualisation du temps de travail ?
La modulation du temps de travail, qui permettait autrefois d’organiser le travail sur plusieurs semaines ou mois, a été supprimée par la loi n°2008-789 du 20 août 2008. Les accords conclus avant cette réforme restent toutefois valables tant qu’ils ne sont pas dénoncés.
Aujourd’hui, seul subsiste le régime unique d’annualisation, qui s’applique obligatoirement par le biais d’un accord collectif d’entreprise, d’établissement ou de branche (article L3121-44 du Code du travail).
En pratique, la modulation couvrait des périodes plus courtes, tandis que l’annualisation se réfère toujours à une période de 12 mois, ce qui permet une vision plus large de la gestion du temps de travail.
3. Le salarié peut-il refuser l’annualisation de son temps de travail ?
4. Comment sont prises en compte les absences rémunérées dans l’annualisation ?
Les absences rémunérées (congés payés, jours fériés chômés, RTT, arrêts maladie indemnisés) doivent être comptabilisées comme du temps de travail effectif. Elles sont valorisées en fonction de l’horaire prévu si le salarié avait été présent.
Exemple : un salarié programmé pour travailler 39 heures sur une semaine incluant un jour férié verra ce jour comptabilisé sur la base de 7 heures (horaire prévu), et non sur un calcul forfaitaire à 35 heures.
Cette règle permet de ne pas pénaliser les salariés qui tombent malades ou prennent des congés durant des semaines chargées.
5. Comment se calcule la rémunération d’un salarié en annualisation ?
Deux régimes de rémunération sont possibles :
Si les heures dépassent ce plafond, elles sont qualifiées d’heures supplémentaires et doivent être majorées conformément à l’article L3121-28 du Code du travail. L’accord collectif peut fixer un seuil inférieur déclenchant plus tôt le paiement d’heures supplémentaires.
Exemple : une entreprise fixe un plafond à 1 590 heures par an. Dès que ce seuil est franchi, chaque heure travaillée au-delà doit être payée comme une heure supplémentaire majorée.