Travail

Salariés bloqués par une grève : quand l’absence est-elle justifiée ?

Jordan Alvarez
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Absence au travail en cas de grève : que dit le Code du travail ?

Les grèves des transports en commun rythment régulièrement la vie économique et sociale française. Métros à l’arrêt, trains supprimés, embouteillages records… autant de situations qui placent les salariés face à une interrogation récurrente : ont-ils le droit de ne pas aller travailler lorsqu’ils ne peuvent plus se déplacer ?
Entre l’obligation de présence découlant du contrat de travail et les aléas extérieurs indépendants de la volonté du salarié, la frontière est fine et souvent source de malentendus, voire de conflits disciplinaires.

Le Code du travail, s’il n’aborde pas directement la grève des transports, encadre néanmoins les principes applicables en cas d’empêchement légitime d’exécuter son travail. La jurisprudence, quant à elle, a précisé les contours de cette notion en reconnaissant certaines situations comme impossibilités matérielles avérées, exonérant le salarié de faute — mais non de perte de salaire.

Cet équilibre entre droit du travail, continuité de l’activité économique et bonne foi contractuelle repose sur une lecture subtile de la loi : l’employeur ne peut pas sanctionner un salarié qui justifie objectivement son absence, mais il n’est pas tenu de rémunérer un travail non effectué.
Ainsi, comprendre les droits et obligations des deux parties en cas de grève des transports n’est pas seulement une question pratique : c’est aussi une manière d’assurer la sécurité juridique des relations de travail.

Dans cet article, defendstesdroits.fr décrypte les règles légales, les solutions alternatives et les propositions législatives récentes visant à encadrer plus strictement le droit de grève dans les transports, afin de mieux protéger à la fois les salariés empêchés et les employeurs impactés.

Sommaire

  1. Comprendre le cadre légal des grèves de transports et leurs impacts sur le travail
  2. L’absence au travail est-elle justifiée en cas d’impossibilité de déplacement ?
  3. Peut-on être sanctionné ou perdre son salaire en cas de grève des transports ?
  4. Comment justifier une absence et informer son employeur ?
  5. Les solutions alternatives au bureau : télétravail, RTT, horaires aménagés
  6. Vers une réforme du droit de grève dans les transports publics ?
  7. Les bonnes pratiques à adopter pour éviter tout litige professionnel

Grève et blocage des transports : un empêchement légitime mais non exonératoire de présence

Une grève des transports n’autorise pas, à elle seule, un salarié à ne pas se rendre au travail. Selon les principes généraux du droit du travail, le contrat de travail implique une obligation de prestation personnelle : le salarié doit exécuter sa mission au lieu fixé (article L1222-1 du Code du travail).

Toutefois, en cas d’impossibilité réelle et indépendante de sa volonté, le salarié ne peut être considéré en faute. La Cour de cassation admet ainsi que l’absence peut être excusée lorsque les circonstances rendent le déplacement matériellement impossible (Cass. Soc., 16 mars 1978, n° 76-41.260).

Autrement dit, si les transports sont totalement paralysés et qu’aucune alternative n’existe, le salarié ne commet pas de faute en s’absentant, à condition de prévenir son employeur et de justifier son empêchement.

En revanche, lorsque des solutions de remplacement existent (voiture, covoiturage, télétravail, etc.), il appartient au salarié de démontrer qu’il ne pouvait objectivement pas se rendre sur son lieu de travail. À défaut, son absence peut être considérée comme injustifiée.

Absence justifiée mais non rémunérée : le principe de la contrepartie travail/salaire

Même si l’absence du salarié est justifiée, elle n’est pas pour autant rémunérée. Le principe de la contrepartie du travail est strict : « le salaire est la contrepartie du travail fourni » (article L3242-1 du Code du travail).

Ainsi, lorsque le salarié ne travaille pas, l’employeur n’est pas tenu de le payer, sauf dispositions conventionnelles plus favorables. Certaines conventions collectives prévoient le maintien de la rémunération dans les cas de force majeure ou d’événement extérieur indépendant de la volonté du salarié.

Le salarié peut toutefois éviter une perte de salaire en :

  • posant un jour de congé payé ou un RTT ;
  • rattrapant les heures perdues selon un accord interne ;
  • télétravaillant, lorsque cela est compatible avec son poste ;
  • bénéficiant d’un accord de tolérance de la part de l’employeur, notamment en cas de mouvements massifs et imprévisibles.

Dans tous les cas, la retenue sur salaire doit être strictement proportionnée à la durée de l’absence (Cass. Soc., 26 octobre 2010, n°09-42.422).

Sanction disciplinaire : dans quels cas est-elle possible ?

L’absence due à une grève des transports ne peut être sanctionnée que si elle résulte d’un manquement fautif du salarié.
Ainsi, l’employeur est en droit de prononcer une sanction disciplinaire en cas :

  • d’absence non justifiée ;
  • de retards répétés sans preuve du blocage ;
  • ou de mauvaise foi manifeste, lorsque le salarié aurait pu se rendre au travail par d’autres moyens.

Toute sanction doit respecter la procédure prévue par l’article L1332-2 du Code du travail, qui impose un entretien préalable avant toute mesure disciplinaire.

Inversement, si le salarié justifie son empêchement (attestation de la SNCF, preuve du blocage du trafic, captures d’écran d’annonces officielles), toute sanction serait illégale et susceptible d’être annulée par le conseil de prud’hommes.

Justifier son absence : une obligation de bonne foi

Le salarié doit faire preuve de transparence et de diligence dès qu’il sait qu’il ne pourra pas se rendre sur son lieu de travail.
La bonne foi contractuelle, principe fondamental du Code du travail (article L1222-1), implique de prévenir son employeur le plus tôt possible et de fournir un justificatif fiable.

Les justificatifs recevables peuvent être :

  • une attestation de la SNCF, RATP ou d’une compagnie aérienne ;
  • une capture d’écran du site officiel des transports mentionnant les perturbations ;
  • un article de presse mentionnant la paralysie complète d’une ligne.

Cette démarche permet à l’employeur de s’organiser et de reconnaître la bonne foi du salarié. En cas de litige, elle constituera un élément de preuve solide démontrant que l’absence n’était pas abusive.

Solutions alternatives : aménagements possibles en période de grève

Lorsqu’un mouvement social affecte durablement les transports, employeur et salarié doivent rechercher des solutions permettant d’assurer la continuité de l’activité.
Plusieurs options existent :

  • Le télétravail, si le poste le permet (article L1222-9 du Code du travail) ;
  • L’aménagement temporaire des horaires, pour éviter les pics de perturbation ;
  • Le rattrapage des heures perdues, dans le respect du plafond légal de durée du travail (article L3121-44) ;
  • La pose d’un jour de congé ou de RTT, avec l’accord de l’employeur.

Ces aménagements permettent de préserver la rémunération du salarié tout en maintenant le bon fonctionnement de l’entreprise.

Certaines entreprises intègrent désormais dans leur accord sur le télétravail une clause relative aux grèves de transport, prévoyant la mise en télétravail automatique en cas d’impossibilité de déplacement.

Vers une limitation du droit de grève dans les transports ?

Le droit de grève, consacré par l’article 7 du Préambule de la Constitution de 1946, est une liberté fondamentale. Toutefois, il n’est pas absolu.
Dans les services publics de transport, il doit se concilier avec le principe de continuité du service public (Conseil constitutionnel, décision n°79-105 DC du 25 juillet 1979).

Deux propositions de loi récentes, déposées respectivement au Sénat (février 2024) et à l’Assemblée nationale (novembre 2024), visaient à restreindre l’exercice du droit de grève dans les transports collectifs.
Elles prévoyaient notamment :

  • l’interdiction des grèves pendant les jours fériés ou vacances scolaires ;
  • des limites horaires pour garantir le service minimal aux heures de pointe ;
  • la possibilité de décret gouvernemental fixant des périodes d’interdiction temporaire.

Si ces textes n’ont pas encore été adoptés, ils témoignent d’un débat récurrent entre liberté syndicale et intérêt général des usagers.

Bon à savoir : le télétravail, une solution privilégiée lors des grèves

Depuis la crise sanitaire, le télétravail est devenu une solution de continuité incontournable lors des grèves.
Les employeurs peuvent l’imposer temporairement ou l’autoriser à titre exceptionnel, dès lors qu’il garantit la sécurité du salarié et la pérennité de l’activité (article L1222-11 du Code du travail).

Pour que cette option soit valide, elle doit respecter les règles suivantes :

  • compatibilité du poste avec le télétravail ;
  • accord du salarié, sauf cas de force majeure ;
  • respect du droit à la déconnexion et du suivi de la charge de travail.

Ainsi, le télétravail s’impose aujourd’hui comme une alternative équilibrée, permettant d’éviter les absences injustifiées et de limiter les pertes économiques liées aux grèves à répétition.

Focus juridique : responsabilité du salarié et obligations de l’employeur

En période de perturbation majeure, l’équilibre entre les obligations des parties repose sur deux principes :

  • le salarié doit prouver qu’il a tout mis en œuvre pour exécuter son contrat de travail ;
  • l’employeur doit apprécier la situation avec raison et équité, sans abuser de son pouvoir disciplinaire.

Le Conseil de prud’hommes reste compétent pour trancher tout litige relatif à une sanction ou retenue sur salaire jugée abusive.

En cas de conflit, la bonne foi du salarié (article L1222-1) et la proportionnalité de la sanction (article L1333-2) sont les critères déterminants pour apprécier la régularité de la décision de l’employeur.

Conclusion

Les grèves des transports placent les salariés et les employeurs dans une situation juridiquement complexe, oscillant entre obligation contractuelle, bonne foi et réalité économique.
La règle demeure claire : la grève ne constitue pas, en soi, une justification automatique d’absence. Seule une impossibilité réelle et prouvée de se rendre au travail permet au salarié d’éviter toute sanction disciplinaire. Toutefois, cette absence, même excusée, n’ouvre pas droit au maintien du salaire, sauf disposition plus favorable prévue par la convention collective ou un accord d’entreprise.

La clé réside dans la communication et la transparence : prévenir son employeur, produire des justificatifs et proposer des aménagements (télétravail, récupération, congé exceptionnel) permettent de préserver la confiance contractuelle.
Du côté de l’employeur, la souplesse managériale et l’évaluation objective de la situation demeurent essentielles pour éviter toute mesure disproportionnée ou contentieuse.

Au-delà du droit individuel, la multiplication des grèves dans les transports soulève une question de gouvernance publique : comment garantir la continuité du service sans porter atteinte à la liberté constitutionnelle de grève ? Les récentes propositions de loi témoignent d’une volonté d’encadrer plus strictement ces mouvements, tout en maintenant l’équilibre entre intérêt général et liberté syndicale.

En définitive, les grèves des transports ne doivent pas devenir un terrain d’insécurité juridique : elles appellent à un dialogue constant entre salariés, employeurs et pouvoirs publics, pour concilier droit au travail, liberté de mouvement et stabilité économique dans un contexte social en perpétuelle tension.

FAQ

1. Ai-je le droit de ne pas aller travailler en cas de grève des transports ?

Non, la grève des transports n’exonère pas le salarié de son obligation de se présenter à son poste. Le contrat de travail lie les parties sur le principe d’une prestation fournie contre rémunération (article L1222-1 du Code du travail). Le salarié doit donc tout mettre en œuvre pour rejoindre son lieu de travail.

Toutefois, la jurisprudence reconnaît certaines situations d’impossibilité matérielle absolue : absence totale de transports, blocage complet des routes ou impossibilité d’utiliser un moyen alternatif (Cass. Soc., 16 mars 1978, n° 76-41.260). Dans ce cas, l’absence peut être justifiée, à condition :

  • d’être indépendante de la volonté du salarié ;
  • de ne pas résulter d’un choix délibéré ;
  • et d’être immédiatement signalée à l’employeur.

L’absence est alors excusable, mais non rémunérée, sauf si la convention collective ou un usage interne prévoit le maintien du salaire.

Exemple : si le salarié habite en grande couronne parisienne et que l’intégralité du réseau RER est paralysé sans alternative possible, son absence peut être considérée comme légitime.

2. Mon employeur peut-il me sanctionner si je ne viens pas à cause d’une grève ?

En principe, oui, mais seulement si l’absence ou le retard est injustifié.
L’employeur dispose d’un pouvoir disciplinaire (articles L1331-1 et L1332-1 du Code du travail) qui lui permet de sanctionner tout manquement à l’exécution du contrat, y compris les absences non motivées.

Cependant, en cas d’impossibilité réelle, aucune sanction ne peut être légalement prononcée. L’employeur doit tenir compte des circonstances et du comportement du salarié :

  • le salarié a-t-il prévenu rapidement ?
  • a-t-il produit un justificatif crédible ?
  • a-t-il cherché des solutions alternatives (télétravail, covoiturage, horaires décalés) ?

Une retenue sur salaire proportionnelle à la durée de l’absence est toutefois possible, même si l’absence est justifiée (Cass. Soc., 26 octobre 2010, n°09-42.422).
Mais une sanction disciplinaire (avertissement, blâme, voire licenciement) serait illégale si le salarié a prouvé sa bonne foi.

Exemple : un salarié qui envoie une attestation de la SNCF mentionnant la suppression complète de sa ligne ne peut être sanctionné pour absence, même si son employeur subit un désagrément organisationnel.

3. Vais-je être payé si je ne peux pas aller travailler pendant une grève ?

Le principe est clair : pas de travail, pas de salaire (article L3242-1 du Code du travail).
Lorsque l’absence n’est pas due à une maladie ou à un congé autorisé, l’employeur n’a pas l’obligation de maintenir la rémunération.

Toutefois, plusieurs solutions légales existent pour limiter la perte de revenus :

  • Télétravail : le salarié peut exercer ses fonctions à distance si son poste le permet (article L1222-9) ;
  • RTT ou congés payés : l’employeur peut accepter qu’un jour d’absence soit décompté des droits à congé ;
  • Rattrapage d’heures : un accord collectif ou un arrangement interne peut permettre de compenser le temps perdu ;
  • Tolérance exceptionnelle : certaines entreprises choisissent d’assumer la journée non travaillée pour préserver la cohésion sociale, notamment lors de mouvements nationaux.

Exemple concret : si la RATP annonce une grève générale le 18 septembre et que le salarié ne peut télétravailler, il pourra poser un jour de RTT afin d’éviter une retenue sur salaire.

Certaines conventions collectives prévoient également un maintien partiel de la rémunération lorsque l’absence découle d’un événement extérieur majeur et imprévisible.

4. Comment justifier mon absence ou mon retard en cas de grève des transports ?

Le salarié doit avertir son employeur sans délai dès qu’il apprend qu’il ne pourra pas se rendre sur son lieu de travail.
Cette obligation découle de la bonne foi contractuelle (article L1222-1 du Code du travail).

Le salarié doit ensuite fournir des justificatifs tangibles, tels que :

  • une attestation officielle de la SNCF, RATP ou d’une compagnie aérienne ;
  • une capture d’écran du site de transport ou d’une application officielle montrant l’interruption du service ;
  • une publication de la préfecture ou un communiqué d’entreprise confirmant le blocage ;
  • ou, dans certains cas, une attestation sur l’honneur si aucun document n’est disponible.

Ces éléments doivent être transmis dans les meilleurs délais, idéalement par mail ou courrier électronique, afin de laisser une trace écrite.

Bon à savoir : si l’employeur conteste la validité du justificatif, il lui revient de démontrer que le salarié aurait pu se rendre sur son lieu de travail par d’autres moyens raisonnables.

5. Quelles sont les solutions légales pour éviter une perte de salaire pendant la grève ?

Plusieurs aménagements du temps de travail peuvent être convenus avec l’employeur pour atténuer l’impact économique de la grève :

  • Télétravail exceptionnel : l’article L1222-11 du Code du travail autorise le recours temporaire au télétravail en cas de circonstances exceptionnelles, notamment lorsque le salarié ne peut rejoindre son poste.
  • Aménagement d’horaires : l’entreprise peut autoriser le salarié à venir plus tard ou à repartir plus tôt, en récupérant les heures ultérieurement.
  • RTT ou congé payé : le salarié peut, avec l’accord de son employeur, poser un jour de repos.
  • Rattrapage d’heures prévu par accord collectif (article L3121-44).
  • Travail depuis un autre site de l’entreprise si cela est matériellement possible.

Exemple : un salarié habitant en banlieue et travaillant à Paris pourra demander à travailler depuis une agence régionale ou un coworking proche de son domicile.

Dans tous les cas, la souplesse et la communication entre les parties restent déterminantes pour préserver la relation de travail et éviter tout conflit disciplinaire ou salarial.

6. Le gouvernement envisage-t-il de limiter le droit de grève dans les transports ?

Oui, deux propositions de loi déposées en 2024 visent à encadrer plus strictement le droit de grève dans le secteur des transports.
Ces textes, portés par le sénateur Hervé Marseille et le député Olivier Marleix, proposaient notamment :

  • d’interdire les grèves pendant les vacances scolaires, les jours fériés et les événements majeurs (élections, JO, etc.) ;
  • de restreindre les mouvements aux heures creuses pour garantir la continuité du service public ;
  • de limiter le nombre de jours de grève autorisés par an.

Bien que ces propositions n’aient pas été adoptées, elles traduisent une volonté politique de rééquilibrer la liberté de grève — protégée par l’article 7 du Préambule de la Constitution de 1946 — et le droit des usagers à un service public minimum.

Le Conseil constitutionnel a rappelé à plusieurs reprises que le droit de grève devait être concilié avec les exigences de l’ordre public et de la continuité du service public (Décision n°79-105 DC du 25 juillet 1979).

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