Les grèves des transports en commun rythment régulièrement la vie économique et sociale française. Métros à l’arrêt, trains supprimés, embouteillages records… autant de situations qui placent les salariés face à une interrogation récurrente : ont-ils le droit de ne pas aller travailler lorsqu’ils ne peuvent plus se déplacer ?
Entre l’obligation de présence découlant du contrat de travail et les aléas extérieurs indépendants de la volonté du salarié, la frontière est fine et souvent source de malentendus, voire de conflits disciplinaires.
Le Code du travail, s’il n’aborde pas directement la grève des transports, encadre néanmoins les principes applicables en cas d’empêchement légitime d’exécuter son travail. La jurisprudence, quant à elle, a précisé les contours de cette notion en reconnaissant certaines situations comme impossibilités matérielles avérées, exonérant le salarié de faute — mais non de perte de salaire.
Cet équilibre entre droit du travail, continuité de l’activité économique et bonne foi contractuelle repose sur une lecture subtile de la loi : l’employeur ne peut pas sanctionner un salarié qui justifie objectivement son absence, mais il n’est pas tenu de rémunérer un travail non effectué.
Ainsi, comprendre les droits et obligations des deux parties en cas de grève des transports n’est pas seulement une question pratique : c’est aussi une manière d’assurer la sécurité juridique des relations de travail.
Dans cet article, defendstesdroits.fr décrypte les règles légales, les solutions alternatives et les propositions législatives récentes visant à encadrer plus strictement le droit de grève dans les transports, afin de mieux protéger à la fois les salariés empêchés et les employeurs impactés.
Une grève des transports n’autorise pas, à elle seule, un salarié à ne pas se rendre au travail. Selon les principes généraux du droit du travail, le contrat de travail implique une obligation de prestation personnelle : le salarié doit exécuter sa mission au lieu fixé (article L1222-1 du Code du travail).
Toutefois, en cas d’impossibilité réelle et indépendante de sa volonté, le salarié ne peut être considéré en faute. La Cour de cassation admet ainsi que l’absence peut être excusée lorsque les circonstances rendent le déplacement matériellement impossible (Cass. Soc., 16 mars 1978, n° 76-41.260).
Autrement dit, si les transports sont totalement paralysés et qu’aucune alternative n’existe, le salarié ne commet pas de faute en s’absentant, à condition de prévenir son employeur et de justifier son empêchement.
En revanche, lorsque des solutions de remplacement existent (voiture, covoiturage, télétravail, etc.), il appartient au salarié de démontrer qu’il ne pouvait objectivement pas se rendre sur son lieu de travail. À défaut, son absence peut être considérée comme injustifiée.
Même si l’absence du salarié est justifiée, elle n’est pas pour autant rémunérée. Le principe de la contrepartie du travail est strict : « le salaire est la contrepartie du travail fourni » (article L3242-1 du Code du travail).
Ainsi, lorsque le salarié ne travaille pas, l’employeur n’est pas tenu de le payer, sauf dispositions conventionnelles plus favorables. Certaines conventions collectives prévoient le maintien de la rémunération dans les cas de force majeure ou d’événement extérieur indépendant de la volonté du salarié.
Le salarié peut toutefois éviter une perte de salaire en :
Dans tous les cas, la retenue sur salaire doit être strictement proportionnée à la durée de l’absence (Cass. Soc., 26 octobre 2010, n°09-42.422).
L’absence due à une grève des transports ne peut être sanctionnée que si elle résulte d’un manquement fautif du salarié.
Ainsi, l’employeur est en droit de prononcer une sanction disciplinaire en cas :
Toute sanction doit respecter la procédure prévue par l’article L1332-2 du Code du travail, qui impose un entretien préalable avant toute mesure disciplinaire.
Inversement, si le salarié justifie son empêchement (attestation de la SNCF, preuve du blocage du trafic, captures d’écran d’annonces officielles), toute sanction serait illégale et susceptible d’être annulée par le conseil de prud’hommes.
Le salarié doit faire preuve de transparence et de diligence dès qu’il sait qu’il ne pourra pas se rendre sur son lieu de travail.
La bonne foi contractuelle, principe fondamental du Code du travail (article L1222-1), implique de prévenir son employeur le plus tôt possible et de fournir un justificatif fiable.
Les justificatifs recevables peuvent être :
Cette démarche permet à l’employeur de s’organiser et de reconnaître la bonne foi du salarié. En cas de litige, elle constituera un élément de preuve solide démontrant que l’absence n’était pas abusive.
Lorsqu’un mouvement social affecte durablement les transports, employeur et salarié doivent rechercher des solutions permettant d’assurer la continuité de l’activité.
Plusieurs options existent :
Ces aménagements permettent de préserver la rémunération du salarié tout en maintenant le bon fonctionnement de l’entreprise.
Certaines entreprises intègrent désormais dans leur accord sur le télétravail une clause relative aux grèves de transport, prévoyant la mise en télétravail automatique en cas d’impossibilité de déplacement.
Le droit de grève, consacré par l’article 7 du Préambule de la Constitution de 1946, est une liberté fondamentale. Toutefois, il n’est pas absolu.
Dans les services publics de transport, il doit se concilier avec le principe de continuité du service public (Conseil constitutionnel, décision n°79-105 DC du 25 juillet 1979).
Deux propositions de loi récentes, déposées respectivement au Sénat (février 2024) et à l’Assemblée nationale (novembre 2024), visaient à restreindre l’exercice du droit de grève dans les transports collectifs.
Elles prévoyaient notamment :
Si ces textes n’ont pas encore été adoptés, ils témoignent d’un débat récurrent entre liberté syndicale et intérêt général des usagers.
Depuis la crise sanitaire, le télétravail est devenu une solution de continuité incontournable lors des grèves.
Les employeurs peuvent l’imposer temporairement ou l’autoriser à titre exceptionnel, dès lors qu’il garantit la sécurité du salarié et la pérennité de l’activité (article L1222-11 du Code du travail).
Pour que cette option soit valide, elle doit respecter les règles suivantes :
Ainsi, le télétravail s’impose aujourd’hui comme une alternative équilibrée, permettant d’éviter les absences injustifiées et de limiter les pertes économiques liées aux grèves à répétition.
En période de perturbation majeure, l’équilibre entre les obligations des parties repose sur deux principes :
Le Conseil de prud’hommes reste compétent pour trancher tout litige relatif à une sanction ou retenue sur salaire jugée abusive.
En cas de conflit, la bonne foi du salarié (article L1222-1) et la proportionnalité de la sanction (article L1333-2) sont les critères déterminants pour apprécier la régularité de la décision de l’employeur.
Les grèves des transports placent les salariés et les employeurs dans une situation juridiquement complexe, oscillant entre obligation contractuelle, bonne foi et réalité économique.
La règle demeure claire : la grève ne constitue pas, en soi, une justification automatique d’absence. Seule une impossibilité réelle et prouvée de se rendre au travail permet au salarié d’éviter toute sanction disciplinaire. Toutefois, cette absence, même excusée, n’ouvre pas droit au maintien du salaire, sauf disposition plus favorable prévue par la convention collective ou un accord d’entreprise.
La clé réside dans la communication et la transparence : prévenir son employeur, produire des justificatifs et proposer des aménagements (télétravail, récupération, congé exceptionnel) permettent de préserver la confiance contractuelle.
Du côté de l’employeur, la souplesse managériale et l’évaluation objective de la situation demeurent essentielles pour éviter toute mesure disproportionnée ou contentieuse.
Au-delà du droit individuel, la multiplication des grèves dans les transports soulève une question de gouvernance publique : comment garantir la continuité du service sans porter atteinte à la liberté constitutionnelle de grève ? Les récentes propositions de loi témoignent d’une volonté d’encadrer plus strictement ces mouvements, tout en maintenant l’équilibre entre intérêt général et liberté syndicale.
En définitive, les grèves des transports ne doivent pas devenir un terrain d’insécurité juridique : elles appellent à un dialogue constant entre salariés, employeurs et pouvoirs publics, pour concilier droit au travail, liberté de mouvement et stabilité économique dans un contexte social en perpétuelle tension.
Non, la grève des transports n’exonère pas le salarié de son obligation de se présenter à son poste. Le contrat de travail lie les parties sur le principe d’une prestation fournie contre rémunération (article L1222-1 du Code du travail). Le salarié doit donc tout mettre en œuvre pour rejoindre son lieu de travail.
Toutefois, la jurisprudence reconnaît certaines situations d’impossibilité matérielle absolue : absence totale de transports, blocage complet des routes ou impossibilité d’utiliser un moyen alternatif (Cass. Soc., 16 mars 1978, n° 76-41.260). Dans ce cas, l’absence peut être justifiée, à condition :
L’absence est alors excusable, mais non rémunérée, sauf si la convention collective ou un usage interne prévoit le maintien du salaire.
Exemple : si le salarié habite en grande couronne parisienne et que l’intégralité du réseau RER est paralysé sans alternative possible, son absence peut être considérée comme légitime.
En principe, oui, mais seulement si l’absence ou le retard est injustifié.
L’employeur dispose d’un pouvoir disciplinaire (articles L1331-1 et L1332-1 du Code du travail) qui lui permet de sanctionner tout manquement à l’exécution du contrat, y compris les absences non motivées.
Cependant, en cas d’impossibilité réelle, aucune sanction ne peut être légalement prononcée. L’employeur doit tenir compte des circonstances et du comportement du salarié :
Une retenue sur salaire proportionnelle à la durée de l’absence est toutefois possible, même si l’absence est justifiée (Cass. Soc., 26 octobre 2010, n°09-42.422).
Mais une sanction disciplinaire (avertissement, blâme, voire licenciement) serait illégale si le salarié a prouvé sa bonne foi.
Exemple : un salarié qui envoie une attestation de la SNCF mentionnant la suppression complète de sa ligne ne peut être sanctionné pour absence, même si son employeur subit un désagrément organisationnel.
Le principe est clair : pas de travail, pas de salaire (article L3242-1 du Code du travail).
Lorsque l’absence n’est pas due à une maladie ou à un congé autorisé, l’employeur n’a pas l’obligation de maintenir la rémunération.
Toutefois, plusieurs solutions légales existent pour limiter la perte de revenus :
Exemple concret : si la RATP annonce une grève générale le 18 septembre et que le salarié ne peut télétravailler, il pourra poser un jour de RTT afin d’éviter une retenue sur salaire.
Certaines conventions collectives prévoient également un maintien partiel de la rémunération lorsque l’absence découle d’un événement extérieur majeur et imprévisible.
Le salarié doit avertir son employeur sans délai dès qu’il apprend qu’il ne pourra pas se rendre sur son lieu de travail.
Cette obligation découle de la bonne foi contractuelle (article L1222-1 du Code du travail).
Le salarié doit ensuite fournir des justificatifs tangibles, tels que :
Ces éléments doivent être transmis dans les meilleurs délais, idéalement par mail ou courrier électronique, afin de laisser une trace écrite.
Bon à savoir : si l’employeur conteste la validité du justificatif, il lui revient de démontrer que le salarié aurait pu se rendre sur son lieu de travail par d’autres moyens raisonnables.
Plusieurs aménagements du temps de travail peuvent être convenus avec l’employeur pour atténuer l’impact économique de la grève :
Exemple : un salarié habitant en banlieue et travaillant à Paris pourra demander à travailler depuis une agence régionale ou un coworking proche de son domicile.
Dans tous les cas, la souplesse et la communication entre les parties restent déterminantes pour préserver la relation de travail et éviter tout conflit disciplinaire ou salarial.
Oui, deux propositions de loi déposées en 2024 visent à encadrer plus strictement le droit de grève dans le secteur des transports.
Ces textes, portés par le sénateur Hervé Marseille et le député Olivier Marleix, proposaient notamment :
Bien que ces propositions n’aient pas été adoptées, elles traduisent une volonté politique de rééquilibrer la liberté de grève — protégée par l’article 7 du Préambule de la Constitution de 1946 — et le droit des usagers à un service public minimum.
Le Conseil constitutionnel a rappelé à plusieurs reprises que le droit de grève devait être concilié avec les exigences de l’ordre public et de la continuité du service public (Décision n°79-105 DC du 25 juillet 1979).