Travail

Salariés exposés à l’amiante : quelles obligations pour l’employeur ?

Estelle Marant
Collaboratrice
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Exposition à l’amiante : ce que la loi impose aux employeurs

Bien que l’amiante soit formellement interdite en France depuis 1997, ce matériau demeure au cœur d’un enjeu majeur de santé publique et de droit du travail. Encore largement présent dans de nombreux bâtiments construits avant son interdiction, l’amiante continue d’exposer des milliers de salariés, notamment dans les secteurs du bâtiment, de la maintenance, de la démolition, de la rénovation et du désamiantage. Cette exposition, qu’elle soit ponctuelle, répétée ou prolongée, est à l’origine de maladies professionnelles graves, souvent déclarées plusieurs années, voire plusieurs décennies, après la fin de l’activité professionnelle.

Face à la toxicité avérée de l’amiante et à son caractère cancérogène, le législateur a progressivement renforcé le cadre juridique applicable aux employeurs. Le Code du travail impose aujourd’hui une série d’obligations spécifiques et renforcées, qui s’inscrivent dans le prolongement de l’obligation générale de sécurité prévue par l’article L4121-1 du Code du travail. Ces obligations ne se limitent pas à une simple prévention formelle : elles visent à anticiper les risques, à réduire l’exposition au niveau le plus bas techniquement possible, à assurer une traçabilité durable des expositions et à garantir un suivi médical adapté des travailleurs concernés.

L’enjeu dépasse largement la seule conformité réglementaire. Le non-respect des règles relatives à l’amiante expose l’employeur à des sanctions administratives, à une responsabilité civile, notamment au titre de la faute inexcusable, et à une responsabilité pénale en cas d’atteinte à la santé des salariés. Dans ce contexte, la maîtrise des obligations légales liées à l’amiante constitue un impératif juridique, mais aussi un levier essentiel de prévention des maladies professionnelles et de protection durable des droits des travailleurs.

Sommaire

  1. L’amiante : un risque professionnel toujours encadré par le droit
  2. L’obligation d’évaluation des risques liés à l’exposition à l’amiante
  3. Le contrôle de la valeur limite d’exposition professionnelle
  4. La traçabilité des expositions et la conservation des données
  5. L’information et la formation des salariés exposés
  6. L’organisation du travail pour réduire l’exposition à l’amiante
  7. Les équipements de protection et le suivi médical renforcé
  8. Les responsabilités et sanctions en cas de manquement de l’employeur

L’évaluation des risques liés à l’amiante : une obligation préalable incontournable

L’identification des activités à risque d’exposition

Conformément à l’article R4412-94 du Code du travail, l’employeur doit être en mesure d’identifier toute activité susceptible d’exposer les salariés à l’amiante. Cette démarche implique une analyse précise des processus de travail, des matériaux manipulés et de l’environnement professionnel, notamment dans les immeubles construits avant l’interdiction de l’amiante.

Cette évaluation s’inscrit directement dans l’obligation de prévention prévue par l’article L4121-1 du Code du travail, qui impose à l’employeur de protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Le contrôle de la valeur limite d’exposition professionnelle (VLEP)

Afin d’apprécier le niveau de risque, l’employeur doit estimer le niveau d’empoussièrement généré par chaque processus de travail, conformément à l’article R4412-98 du Code du travail.
La réglementation fixe une valeur limite d’exposition professionnelle de 10 fibres par litre d’air, mesurée sur une durée de 8 heures, conformément aux articles R4412-100 et R4412-101 du Code du travail.

L’employeur est tenu de s’assurer que aucun salarié n’est exposé au-delà de ce seuil, lequel constitue un plafond réglementaire impératif.

La transcription des résultats dans le DUERP

Les résultats de l’évaluation des risques doivent être transcrits dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), en application de l’article R4412-99 du Code du travail.
Le DUERP doit être mis à jour à chaque modification des procédés de travail ou en cas d’évolution du niveau d’empoussièrement.

Le défaut de transcription ou de mise à jour expose l’employeur à une contravention de cinquième classe, soit 1 500 euros d’amende, portée à 7 500 euros pour une personne morale.

La traçabilité de l’exposition à l’amiante : une exigence renforcée

L’établissement d’une liste des travailleurs exposés

Depuis le 5 juillet 2024, l’article R4412-93-1 du Code du travail impose à l’employeur d’établir une liste actualisée des travailleurs susceptibles d’être exposés à des agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, incluant l’amiante.

Cette liste précise notamment :

  • les substances concernées ;
  • la nature, la durée et le degré de l’exposition, lorsqu’ils sont connus.

Ces informations doivent être accessibles au salarié concerné, ainsi qu’au CSE, sous une forme anonymisée pour les autres travailleurs, conformément aux articles R4412-93-2 et R4412-93-3 du Code du travail.

La conservation des données sur le long terme

Les informations relatives à l’exposition sont transmises aux services de prévention et de santé au travail (SPST) et intégrées au dossier médical en santé au travail. Elles doivent être conservées pendant au moins 40 ans, afin de permettre un suivi médical adapté, notamment en cas de déclaration tardive d’une maladie professionnelle liée à l’amiante.

Cette obligation s’applique également aux travailleurs temporaires, avec un partage d’informations entre l’entreprise utilisatrice et l’entreprise de travail temporaire, conformément à l’article R4412-93-4 du Code du travail.

L’information et la formation des salariés exposés à l’amiante

L’information sur les risques professionnels

Pour chaque poste exposant à l’amiante, l’employeur doit établir une notice de poste, conformément à l’article R4412-39 du Code du travail.
Ce document informe les salariés sur :

  • les risques pour la santé ;
  • les mesures de prévention mises en œuvre ;
  • les règles d’hygiène applicables ;
  • l’usage des équipements de protection collective et individuelle.

La notice est transmise pour avis au médecin du travail, puis communiquée au CSE, conformément à l’article R4412-116 du Code du travail.

La formation spécifique à l’amiante

L’employeur est tenu de dispenser une formation adaptée aux salariés exposés, en application des articles R4412-87 et R4412-117 du Code du travail.
Cette formation porte notamment sur :

  • les effets de l’amiante sur la santé ;
  • les précautions à prendre pour éviter l’exposition ;
  • les prescriptions d’hygiène ;
  • le port et l’entretien des équipements de protection ;
  • les mesures à adopter en cas d’incident.

L’organisation du travail pour limiter l’exposition à l’amiante

La réduction de l’exposition au niveau le plus bas possible

Conformément à l’article R4412-108 du Code du travail, l’employeur doit réduire la durée et le niveau d’exposition au niveau le plus bas techniquement possible et prévenir toute pollution de l’environnement de travail.

Cette obligation implique une organisation rigoureuse du chantier et des méthodes de travail adaptées aux contraintes sanitaires.

L’aménagement du temps de travail

L’article R4412-118 du Code du travail impose à l’employeur de définir :

  • la durée des vacations ;
  • le nombre de vacations quotidiennes ;
  • les temps nécessaires aux opérations de décontamination, d’habillage et de déshabillage ;
  • les temps de pause après chaque période d’exposition.

Les déchets susceptibles de libérer des fibres d’amiante doivent être collectés, conditionnés et stockés de manière à éviter toute dispersion de poussières.

Les équipements de protection et le suivi médical des salariés

La mise à disposition des équipements de protection

Lorsque les risques ne peuvent être supprimés, l’employeur doit fournir des équipements de protection individuelle et collective adaptés, conformément aux articles R4412-110 et R4412-111 du Code du travail.
Il lui incombe d’en assurer le bon état, le renouvellement et l’utilisation effective.

Le suivi individuel renforcé et la fiche d’exposition

Les salariés exposés à l’amiante doivent bénéficier d’un suivi médical renforcé, en application des articles R4624-22 et R4624-23 du Code du travail.
En complément, l’employeur doit établir une fiche d’exposition à l’amiante, prévue par l’article R4412-120 du Code du travail, retraçant l’historique précis des expositions professionnelles.

Ce suivi constitue un élément essentiel de la prévention des maladies professionnelles et de la reconnaissance ultérieure des droits des salariés exposés.

Conclusion

La réglementation relative à l’amiante illustre de manière exemplaire l’évolution du droit de la santé au travail vers une logique de prévention renforcée et de responsabilité élargie de l’employeur. Malgré son interdiction, l’amiante demeure une source de risques persistants, justifiant un encadrement juridique particulièrement strict, fondé sur l’évaluation systématique des risques, la limitation de l’exposition, la formation des salariés et la traçabilité des expositions professionnelles.

L’employeur est ainsi tenu de mettre en œuvre une organisation globale et cohérente de la prévention, intégrant le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), le contrôle de la valeur limite d’exposition professionnelle, l’information et la formation des salariés, la mise à disposition d’équipements de protection adaptés, ainsi qu’un suivi médical renforcé. Ces obligations s’inscrivent dans une démarche de long terme, destinée à prévenir l’apparition de pathologies dont les effets peuvent se manifester bien après la cessation de l’exposition.

Au-delà de la protection immédiate des salariés, le respect de ces obligations participe également à la sécurisation juridique de l’employeur, en limitant les risques de contentieux liés aux accidents du travail et aux maladies professionnelles. La rigueur exigée par le législateur en matière d’amiante rappelle que la prévention des risques professionnels ne constitue pas une option, mais une exigence permanente, indissociable de la responsabilité sociale et juridique de l’entreprise.

Dans un contexte où les demandes d’indemnisation liées à l’amiante demeurent nombreuses et où les règles de traçabilité ont été récemment renforcées, la vigilance des employeurs reste déterminante pour assurer la protection effective des travailleurs, préserver leurs droits à la reconnaissance et à l’indemnisation, et contribuer durablement à la réduction des maladies professionnelles liées à l’amiante.

FAQ

1. L’interdiction de l’amiante depuis 1997 dispense-t-elle l’employeur de ses obligations ?

Non. L’interdiction de l’amiante depuis 1997 ne supprime en aucun cas les obligations de l’employeur. De nombreux bâtiments, installations et équipements anciens contiennent encore des matériaux amiantés. Dès lors que les salariés sont susceptibles d’y être exposés, même de manière indirecte ou ponctuelle, l’employeur demeure soumis à son obligation générale de sécurité, prévue par l’article L4121-1 du Code du travail.

L’employeur doit anticiper le risque, procéder à une évaluation approfondie, mettre en place des mesures de prévention adaptées et assurer un suivi dans le temps. L’argument de l’interdiction légale de l’amiante ne peut en aucun cas justifier une absence de prévention.

2. Quelles situations de travail peuvent entraîner une exposition à l’amiante ?

L’exposition à l’amiante ne concerne pas uniquement les opérations de désamiantage. Elle peut survenir lors de travaux de rénovation, de démolition, de maintenance, de perçage, de sciage, ou de toute intervention sur des matériaux anciens susceptibles d’en contenir.

Les secteurs les plus concernés sont notamment le BTP, la maintenance industrielle, la gestion immobilière, les collectivités territoriales et certaines activités de nettoyage technique. Une exposition brève mais répétée peut suffire à entraîner des conséquences graves sur la santé, ce qui justifie un encadrement strict par le droit du travail.

3. En quoi consiste précisément la traçabilité de l’exposition à l’amiante ?

La traçabilité vise à assurer un suivi durable des expositions professionnelles afin de protéger les droits des salariés sur le long terme. L’employeur doit établir une liste actualisée des travailleurs exposés, précisant les substances concernées, la nature des travaux effectués, ainsi que la durée et l’intensité de l’exposition, lorsqu’elles sont connues.

Ces informations doivent être transmises aux services de prévention et de santé au travail, intégrées au dossier médical en santé au travail et conservées pendant au moins 40 ans. Cette conservation prolongée est essentielle compte tenu du temps de latence élevé des maladies liées à l’amiante, souvent déclarées plusieurs décennies après l’exposition.

4. Quelles sont les obligations de formation des salariés exposés à l’amiante ?

La formation des salariés exposés à l’amiante est une obligation légale. Elle doit être adaptée aux postes occupés et aux risques identifiés. L’employeur doit informer les salariés sur les effets de l’amiante sur la santé, les mesures de prévention mises en œuvre, les règles d’hygiène, ainsi que sur le port et l’entretien des équipements de protection individuelle.

Cette formation doit également inclure les consignes à respecter en cas d’incident ou de situation anormale. Une formation insuffisante ou inexistante constitue un manquement grave, susceptible d’engager la responsabilité de l’employeur en cas de maladie professionnelle ou d’accident.

5. Quels risques juridiques l’employeur encourt-il en cas de manquement à ses obligations ?

Le non-respect des obligations liées à l’amiante expose l’employeur à des conséquences juridiques lourdes. Sur le plan administratif, des amendes peuvent être prononcées en cas de défaut d’évaluation ou de mise à jour du DUERP. Sur le plan civil, l’employeur peut être condamné pour faute inexcusable si le danger était connu ou aurait dû l’être.

Sur le plan pénal, des poursuites peuvent être engagées pour mise en danger de la vie d’autrui, voire pour des infractions plus graves en cas d’atteinte à la santé des salariés. Ces risques soulignent l’importance d’une politique de prévention rigoureuse, documentée et conforme aux exigences du Code du travail.

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