Pénal

Avocat et refus de prise en charge : que dit la loi ?

Estelle Marant
Collaboratrice
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Refus d'un avocat : comment réagir et protéger vos droits

Face à un litige, une procédure judiciaire ou simplement une interrogation juridique, recourir à un avocat peut apparaître comme une étape naturelle et rassurante. Ce professionnel, porteur d’un savoir juridique technique et rigoureux, incarne pour de nombreux justiciables l’assurance d’une défense solide et d’une représentation digne de ce nom. Pourtant, il arrive que certains soient confrontés à une situation déconcertante : le refus d’un avocat de prendre en charge leur dossier.

Faut-il voir dans ce refus une entorse au devoir de défense ? Un manquement aux obligations déontologiques ? La question peut légitimement interpeller le justiciable, souvent démuni face au silence ou à la décision de refus émanant de celui qu’il pensait être son protecteur dans la tourmente judiciaire.

Il convient dès lors de rappeler que la profession d’avocat, bien que régie par un cadre strict et des principes déontologiques imposants, reste une profession libérale, fondée sur le principe d'indépendance. La liberté pour l'avocat d'accepter ou de refuser une affaire trouve ainsi son origine dans sa qualité de professionnel indépendant. Néanmoins, ce refus n’est pas totalement arbitraire : il obéit à des limites précises, établies dans le respect du Décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, du Décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat et du Règlement Intérieur National (RIN) de la profession.

Entre liberté de choix, motifs légitimes de refus et garanties offertes au client, la réponse à la question « Un avocat peut-il refuser de vous aider ? » mérite d’être explorée sous l’éclairage du droit positif français, afin de comprendre les contours exacts des obligations pesant sur l’avocat et les recours envisageables par les justiciables confrontés à un refus inattendu.

Sommaire

  1. Introduction
  2. Les obligations déontologiques de l’avocat
  3. Le refus d’intervention : un droit encadré
  4. Le refus du dossier par un avocat commis d’office
  5. Pourquoi un avocat peut-il se retirer d’un dossier
  6. Le dessaisissement en cours de procédure
  7. Le refus de prendre un dossier sous aide juridictionnelle
  8. Que faire en cas de refus abusif
  9. Conclusion

Les obligations déontologiques de l'avocat vis-à-vis du client

L’avocat est soumis à des devoirs fondamentaux dans ses relations avec le client. L’article 1.3 du Règlement Intérieur National (RIN) précise qu’il exerce son activité avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, conformément à son serment (article 3 de la loi du 31 décembre 1971). En complément, le Décret du 12 juillet 2005 stipule que l’avocat doit faire preuve de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence à l’égard de ses clients.

Toutefois, cette indépendance lui confère une liberté fondamentale dans le choix de ses dossiers, sous réserve du respect des règles encadrant ce refus.

Le refus d’intervention : un droit encadré

Liberté de refuser un dossier

Hors cas particulier de la commission d’office, l’avocat est libre de refuser un dossier sans avoir à justifier sa décision (sauf cas de discrimination prohibée par la loi, conformément à l’article 225-1 du Code pénal).

Cette liberté de choix s'explique par la relation contractuelle qui s'établit entre l’avocat et son client lors de la signature d’une convention d’honoraires (article 10 de la loi du 31 décembre 1971). En l'absence d'accord, aucun lien contractuel n’existe, et l’avocat peut décliner son concours.

Cas du refus par l’avocat commis d’office

L'avocat désigné au titre de la commission d’office ne peut opposer un refus qu’en cas de motif légitime. Deux principales justifications sont admises :

  • Clause de conscience : si l'avocat estime, pour des raisons éthiques ou personnelles, ne pas pouvoir défendre une cause contraire à ses convictions profondes ;
  • Conflit d’intérêts : lorsqu'un précédent mandat ou une situation professionnelle compromet son indépendance ou son impartialité.

En cas de refus jugé injustifié, le justiciable peut saisir le bâtonnier du barreau concerné via une lettre recommandée avec accusé de réception, en joignant les pièces justificatives appuyant sa demande. Le bâtonnier, autorité disciplinaire, veille au respect des obligations professionnelles (article 21 du Décret du 27 novembre 1991).

Pourquoi un avocat peut-il se retirer d'un dossier ?

Même après acceptation du dossier, certaines situations justifient un dessaisissement volontaire de l’avocat :

  • Apparition d'un conflit d'intérêts en cours de procédure (article 4.3 du RIN) ;
  • Violation possible du secret professionnel, notamment en cas de transmission involontaire d'informations d'un ancien client (article 2 du RIN) ;
  • Incompétence matérielle ou juridique sur le sujet traité : un avocat doit refuser un dossier si ses compétences techniques ne permettent pas d'assurer une défense efficace (article 1.3 du RIN) ;
  • Surcharge de travail ne lui permettant pas de traiter le dossier dans des conditions raisonnables et satisfaisantes.

Toutefois, l’article 13.2 du RIN impose à l’avocat un devoir de prudence et de loyauté : il ne peut se retirer à la dernière minute, au risque de compromettre les intérêts de son client. Le retrait doit donc être anticipé et expliqué clairement au justiciable, en laissant un délai suffisant pour lui permettre de solliciter un autre conseil.

Le refus de traiter un dossier sous aide juridictionnelle

L’avocat, même soumis aux principes déontologiques, reste libre d’accepter ou non un dossier pris sous le régime de l’aide juridictionnelle (AJ). Cette liberté trouve sa source dans le caractère libéral et indépendant de la profession. Toutefois, une exception notable existe : lorsqu’il est désigné d’office par le bâtonnier, l’avocat est dans l’obligation de traiter le dossier, sauf à justifier d’un motif légitime (tel qu'un conflit d’intérêts ou une clause de conscience).

En cas d'acceptation du dossier sous AJ totale, l’avocat est tenu de respecter les règles spécifiques prévues par la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique. Les articles 27 et suivants de cette loi stipulent clairement qu’il ne peut exiger aucun honoraire supplémentaire du client. Sa rémunération est alors intégralement couverte par une prise en charge forfaitaire de l’État, selon un barème préétabli, même si celui-ci est généralement jugé faible par les professionnels.

Dans le cadre d'une aide juridictionnelle partielle, la situation diffère. L’avocat peut conclure avec son client une convention d’honoraires fixant clairement :

  • La part prise en charge par l’État ;
  • La part restant à la charge du client.

Cette liberté contractuelle, encadrée par le respect de la convention d’honoraires obligatoire depuis la loi Macron du 6 août 2015, permet à l’avocat de percevoir un complément d’honoraires légitimement facturé.

Il faut néanmoins comprendre que ce dispositif protecteur, pensé pour garantir l’accès à la justice des justiciables les plus modestes, peut inciter certains avocats à refuser les dossiers sous AJ, en raison :

  • D’une rémunération faible et forfaitaire, jugée peu motivante compte tenu du travail exigé ;
  • De la complexité administrative liée au traitement des dossiers AJ ;
  • De la charge de travail disproportionnée par rapport au montant des indemnités versées.

En définitive, le refus d’un avocat de traiter un dossier à l’aide juridictionnelle n’est pas illégal : il traduit l’exercice d’un choix professionnel légitime, dès lors qu’il ne viole ni le principe de non-discrimination, ni les obligations découlant d’une éventuelle désignation d’office par le bâtonnier.

Que faire en cas de refus injustifié ou abusif ?

Lorsqu’un avocat refuse de vous assister sans raison valable, ou se retire abusivement de votre dossier, il est important de savoir que des recours sont à votre disposition afin de faire respecter vos droits de justiciable. Le bâtonnier du barreau concerné constitue la première autorité compétente pour trancher ce type de litige.

La procédure de contestation est strictement encadrée par les articles 174 et suivants du Décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat. Le client doit rédiger une requête écrite exposant les motifs de sa contestation et y joindre toutes les pièces justificatives appuyant sa demande (copie du refus, échanges, éventuelle correspondance de l'avocat).

Cette requête doit impérativement être adressée au bâtonnier du barreau d’inscription de l’avocat par lettre recommandée avec accusé de réception. Le bâtonnier, en qualité d’autorité disciplinaire et de régulateur interne de la profession, examinera la situation en prenant en compte les règles déontologiques applicables et rendra une décision motivée.

Si le client n’est pas satisfait de cette décision, il dispose d’une seconde voie de recours. Conformément à l’article 176 du Décret n°91-1197, il peut saisir le premier président de la cour d’appel compétente, dans un délai de 15 jours suivant la notification de la décision du bâtonnier.

Ce recours doit être formé par déclaration au greffe de la cour d’appel, accompagnée de la décision contestée et des pièces du dossier.

En parallèle, si le comportement de l’avocat révèle une faute déontologique grave (refus discriminatoire, abandon brutal du dossier sans raison valable, négligence manifeste), il est possible de demander au bâtonnier l'engagement d'une procédure disciplinaire susceptible de conduire à des sanctions professionnelles, conformément aux articles 183 et suivants du Décret du 27 novembre 1991.

En résumé, face à un refus injustifié ou abusif, le justiciable dispose de voies de recours protectrices, garantissant le respect des obligations professionnelles des avocats et la sauvegarde de ses propres droits procéduraux.

Conclusion

Ainsi, si l’image traditionnelle de l’avocat protecteur des libertés et garant des droits de la défense demeure fortement ancrée, la réalité juridique nuance cette vision : l’avocat n’est pas juridiquement tenu d’accepter chaque affaire qui lui est soumise. Sa liberté contractuelle, indissociable du principe d'indépendance, lui permet de refuser un dossier dès lors que ce refus s’inscrit dans le cadre défini par les principes déontologiques.

La clause de conscience, le conflit d'intérêts, la surcharge de travail ou encore l'incompétence technique constituent autant de motifs légitimes justifiant ce refus. Toutefois, cette liberté trouve ses limites lorsque l'avocat est commis d'office : il ne peut alors se dérober sans justifier d'un motif valable. Le dessaisissement en cours de procédure obéit quant à lui à des règles strictes, afin de ne pas compromettre les intérêts du client.

Face à un refus jugé abusif ou dénué de fondement, le client dispose de voies de recours, au premier rang desquelles se trouve la saisine du bâtonnier du barreau concerné, garant du respect des règles déontologiques et protecteur des droits des clients.

Dans cette perspective, le site defendstesdroits.fr vous accompagne en vous fournissant des ressources juridiques fiables et accessibles, pour comprendre vos droits, anticiper les écueils et faire valoir vos intérêts face aux professionnels du droit.

FAQ

1. Un avocat peut-il refuser un dossier sans fournir de justification ?
Oui, un avocat exerce une profession libérale reposant sur le principe d’indépendance. En conséquence, il dispose de la liberté contractuelle pour accepter ou refuser un dossier, sans être tenu de justifier sa décision, sauf dans certains cas spécifiques. Cette liberté est encadrée par le Décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 et le Règlement Intérieur National (RIN). Néanmoins, tout refus fondé sur un critère discriminatoire est strictement interdit et constituerait une infraction réprimée par l’article 225-1 du Code pénal. Dans les faits, le refus est donc possible mais doit respecter les exigences déontologiques de la profession.

2. Dans quels cas le refus d'un avocat peut-il être contesté ?
Le refus d'un avocat commis d'office peut être contesté s’il semble non fondé. Dans cette situation, l’avocat ne peut se dérober sans invoquer un motif légitime : clause de conscience, conflit d'intérêts, surcharge exceptionnelle ou empêchement grave. Le justiciable peut contester ce refus auprès du bâtonnier du barreau concerné. La procédure consiste à adresser une réclamation écrite par lettre recommandée avec accusé de réception, détaillant les faits et joignant tout élément justificatif. Le bâtonnier, en sa qualité de juge déontologique, tranchera le litige conformément aux articles 174 et suivants du Décret du 27 novembre 1991. En cas de désaccord, le client peut former un recours devant le premier président de la cour d'appel dans un délai de 15 jours.

3. Quels sont les motifs légaux et déontologiques permettant à un avocat de refuser une affaire ?
Un avocat peut légalement refuser une affaire pour plusieurs raisons conformes aux principes déontologiques :

  • Le conflit d’intérêts : s’il a défendu une partie adverse dans une affaire connexe, ou si un collaborateur du cabinet représente déjà la partie adverse (article 4.3 du RIN).
  • Le risque de violation du secret professionnel : si des informations sensibles détenues au titre d’une précédente mission pourraient être divulguées au nouveau client (article 2 du RIN).
  • La clause de conscience : l'avocat peut refuser une affaire contraire à ses convictions personnelles ou éthiques.
  • L’incompétence technique : s’il ne dispose pas des compétences nécessaires dans le domaine concerné, l’avocat est tenu de refuser ou de coopérer avec un confrère qualifié, en vertu du principe de compétence.
  • L’indisponibilité professionnelle : en cas de surcharge ou d'empêchement organisationnel, l'avocat peut décliner un dossier pour garantir un traitement respectueux des intérêts du client.

4. Un avocat peut-il abandonner un dossier en cours de procédure ?
Oui, mais le dessaisissement d'un dossier par un avocat est strictement encadré. Selon l'article 13.2 du RIN, un avocat ne peut se retirer subitement au risque de nuire aux intérêts de son client. Le retrait est possible uniquement dans des circonstances précises :

  • Apparition d’un conflit d’intérêts ;
  • Difficultés éthiques ou professionnelles majeures ;
  • Absence de collaboration du client, compromettant la mission de l'avocat.

En pratique, l'avocat doit notifier sa décision suffisamment tôt pour permettre au client de désigner un autre avocat et assurer ainsi la continuité de la défense. Si le retrait est considéré comme abusif ou tardif, une action disciplinaire peut être envisagée devant le bâtonnier.

5. Est-il légal pour un avocat de refuser un dossier sous aide juridictionnelle ?
Oui. Un avocat n’est pas obligé d’accepter un dossier pris sous aide juridictionnelle (AJ), sauf désignation expresse par le bâtonnier dans le cadre d'une commission d'office. Cette liberté découle du caractère libéral de la profession. Toutefois, lorsqu'un avocat accepte un dossier à l’AJ totale, il s’engage à respecter les conditions de rémunération fixées par l’État sans pouvoir exiger de complément d’honoraires (articles 27 et suivants de la loi du 10 juillet 1991). En cas d'AJ partielle, il peut établir une convention d'honoraires avec son client concernant la fraction des frais non couverts par l'aide publique. Le refus de prendre un dossier à l’AJ repose donc souvent sur des considérations économiques ou organisationnelles, mais il doit toujours être exercé dans le respect des règles déontologiques.

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