Le droit aux congés payés constitue l’un des fondements historiques de la protection des salariés, reconnu tant par le Code du travail que par le droit de l’Union européenne. Conçu comme un droit au repos effectif, il ne peut être réduit à une simple variable d’organisation interne de l’entreprise. Pourtant, dans la pratique, de nombreux salariés se trouvent confrontés à des situations dans lesquelles ils n’ont pas pu prendre l’intégralité de leurs congés dans les délais impartis : surcharge de travail, refus de l’employeur, arrêt maladie, congé maternité ou contraintes organisationnelles. Se pose alors une question essentielle : les congés payés non pris peuvent-ils être reportés ?
Longtemps, le principe a été celui de la perte des congés non pris à l’issue de la période de prise, sauf exception clairement identifiée. Cette approche restrictive a toutefois été progressivement remise en cause sous l’impulsion du droit européen, qui impose aux États membres de garantir l’effectivité du droit au repos annuel. La France a ainsi dû faire évoluer son cadre juridique, tant par la voie législative que jurisprudentielle, afin de mieux protéger les salariés empêchés de prendre leurs congés pour des raisons indépendantes de leur volonté.
Les évolutions récentes sont particulièrement significatives. La reconnaissance de l’acquisition de congés payés pendant les arrêts maladie, le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation du 10 septembre 2025, ou encore l’encadrement strict des obligations d’information pesant sur l’employeur témoignent d’un renforcement notable des droits des salariés. Ces transformations ont profondément modifié les règles applicables au report des congés payés, rendant indispensable une lecture actualisée et rigoureuse du droit positif.
Dans ce contexte, il est indispensable de distinguer les situations dans lesquelles le report est facultatif, celles où il devient obligatoire, ainsi que les délais et modalités à respecter pour sécuriser les droits de chacun. Cet article a pour objectif d’apporter une analyse complète, juridiquement fondée et accessible, des règles encadrant le report des congés payés, afin de permettre aux salariés comme aux employeurs d’agir en conformité avec le droit en vigueur.
1. Le principe légal de prise des congés payés
2. La période de référence et la date limite de prise
3. La perte des congés payés non pris : conditions et limites
4. Les cas de report possible par accord ou convention collective
5. Les situations rendant le report des congés payés obligatoire
6. Le report des congés payés en cas d’arrêt maladie ou d’accident
7. Les délais de report applicables aux congés non pris
8. L’obligation d’information de l’employeur
9. Les règles spécifiques pour les salariés en forfait jours ou annualisation
10. Les démarches pour demander et sécuriser un report de congés payés
En application des articles L3141-1 et suivants du Code du travail, les congés payés sont acquis au cours d’une période de référence, généralement fixée du 1er juin de l’année N-1 au 31 mai de l’année N, sauf dispositions conventionnelles différentes.
Les congés acquis doivent ensuite être pris pendant une période de prise, au plus tard jusqu’au 31 mai de l’année suivante.
📌 Exemple :
Les congés acquis entre le 1er juin 2024 et le 31 mai 2025 doivent être pris avant le 31 mai 2026.
Par principe, lorsque le salarié n’a pas pris ses congés avant la date limite, ceux-ci sont perdus. Toutefois, ce principe ne s’applique que si l’employeur a effectivement mis le salarié en mesure de les prendre, exigence dégagée par la jurisprudence et renforcée par le droit européen.
En dehors de toute obligation légale, le report peut résulter d’un accord individuel entre le salarié et l’employeur. Cet accord peut porter sur tout ou partie des congés non pris et doit être formalisé par écrit, afin de sécuriser la relation contractuelle en cas de litige.
Un accord d’entreprise, une convention collective ou un accord de branche peut prévoir des règles plus favorables que la loi, notamment :
Ces dispositions conventionnelles priment sur la règle légale dès lors qu’elles sont plus avantageuses pour le salarié.
Lorsque l’employeur :
il ne peut priver le salarié de son droit au repos. Les congés non pris doivent alors être obligatoirement reportés.
Le report est également obligatoire lorsque le salarié n’a pas pu prendre ses congés en raison :
Par un arrêt du 10 septembre 2025 (Cass. soc., n°23-22.732), la Cour de cassation a opéré un revirement majeur :
👉 le salarié qui tombe malade pendant ses congés payés a droit au report des jours concernés, dès lors qu’il a informé l’employeur de son arrêt de travail.
Cette décision aligne le droit français sur le droit européen, qui considère que le congé payé a pour finalité le repos effectif, incompatible avec un état de maladie.
Cette jurisprudence est d’application immédiate et s’impose à l’ensemble des employeurs, sans nécessité de modification législative.
Lorsque le salarié est empêché de prendre ses congés en raison d’un arrêt de travail, il bénéficie d’un délai de report de 15 mois, sauf dispositions conventionnelles plus favorables.
Le point de départ du délai varie selon la situation :
La Cour de cassation, dans un arrêt du 13 novembre 2025 (Cass. soc., n°24-14.084), a rappelé que l’employeur ne peut invoquer la perte des congés s’il ne prouve pas avoir informé le salarié.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi DDADUE du 22 avril 2024, les salariés en arrêt pour maladie non professionnelle acquièrent désormais des congés payés :
Ces congés acquis pendant l’arrêt sont eux aussi reportables.
Les salariés en forfait annuel en jours peuvent bénéficier d’un report des congés jusqu’au 31 décembre de l’année suivante, dès lors qu’un accord collectif le prévoit.
En cas de modification de la durée du travail, un accord collectif étendu peut autoriser le report des congés non pris, conformément à l’article L3141-22 du Code du travail, et en fixer les modalités.
En dehors des cas de report obligatoires prévus par la loi ou les accords collectifs, l’employeur peut refuser une demande de report, à condition d’avoir :
Un refus motivé est vivement recommandé afin de prévenir tout contentieux.
Le salarié souhaitant obtenir un report doit :
De même, lorsque le report est demandé par l’employeur, l’accord écrit du salarié est indispensable.
Lorsque le report est impossible ou refusé, certains jours peuvent être affectés sur un compte épargne-temps (CET), si un accord collectif en prévoit l’existence. Le CET permet notamment d’y placer :
Ces droits peuvent ensuite être utilisés sous forme de congés rémunérés, de complément de salaire ou d’épargne retraite.
Le report des congés payés ne relève plus aujourd’hui d’une simple tolérance accordée par l’employeur, mais s’inscrit dans un cadre juridique structuré, issu à la fois du Code du travail, du droit européen et d’une jurisprudence récente particulièrement protectrice des salariés. Si le principe demeure celui d’une prise des congés dans les délais fixés, ce principe est désormais étroitement conditionné au respect par l’employeur de son obligation d’information et de sa responsabilité dans l’organisation effective des départs en congé.
Les décisions rendues par la Cour de cassation en 2025 ont marqué un tournant décisif. En reconnaissant le droit au report des congés payés en cas de maladie survenant pendant les vacances, les juges ont affirmé avec force que le congé payé a pour finalité exclusive le repos et la récupération, incompatibles avec un état de santé altéré. Ce raisonnement, directement inspiré de la jurisprudence européenne, renforce considérablement la protection des salariés et limite les pratiques restrictives autrefois admises.
Pour les employeurs, ces évolutions impliquent une vigilance accrue. Il ne suffit plus de fixer une période de prise des congés : il est désormais indispensable de démontrer concrètement que le salarié a été mis en mesure d’exercer son droit, sous peine de voir les congés reportés sur une longue durée. À défaut, la perte des congés ne peut être valablement opposée, exposant l’entreprise à des risques contentieux significatifs.
En définitive, le report des congés payés s’impose comme un levier de protection sociale et un enjeu de sécurité juridique pour les relations de travail. Sur defendstesdroits.fr, l’ambition est de permettre à chaque justiciable de comprendre les mécanismes applicables, d’anticiper les situations à risque et de faire valoir ses droits sur la base d’une information juridique fiable, actualisée et rigoureusement sourcée.
Non, la perte automatique des congés payés non pris est une idée largement répandue mais juridiquement inexacte. En principe, les congés acquis doivent être pris avant la date limite fixée par l’entreprise, le plus souvent le 31 mai, à l’issue de la période de référence. Toutefois, cette règle ne s’applique que si l’employeur peut démontrer qu’il a effectivement mis le salarié en mesure d’exercer son droit à congés.
Concrètement, l’employeur doit avoir informé le salarié de ses droits, fixé une période de prise et permis l’organisation des départs. À défaut, la jurisprudence considère que les congés non pris ne peuvent pas être considérés comme perdus et doivent être reportés, même sans demande formelle du salarié.
Le report des congés payés s’impose à l’employeur lorsque le salarié a été empêché de prendre ses congés pour une cause indépendante de sa volonté. C’est notamment le cas lorsque :
Dans ces hypothèses, refuser le report constituerait une atteinte au droit fondamental au repos, tel que protégé par le Code du travail et le droit européen.
Oui. Depuis les évolutions législatives et jurisprudentielles récentes, le salarié en arrêt maladie bénéficie d’une protection renforcée. Il acquiert des congés payés pendant l’arrêt, qu’il soit d’origine professionnelle ou non. Les congés acquis avant l’arrêt, mais non pris en raison de celui-ci, sont également reportables.
En outre, depuis un revirement de jurisprudence de septembre 2025, le salarié qui tombe malade pendant ses congés payés peut demander le report des jours concernés, à condition d’avoir informé l’employeur de son arrêt de travail. Cette solution consacre le principe selon lequel un congé payé doit permettre un repos effectif, incompatible avec la maladie.
Lorsqu’un salarié n’a pas pu prendre ses congés pour cause d’arrêt de travail, il bénéficie d’un délai légal de report de 15 mois, sauf dispositions conventionnelles plus favorables. Ce délai ne commence pas automatiquement à courir à la fin de la période de référence.
Il débute uniquement lorsque l’employeur a informé le salarié, à son retour, du nombre de jours de congés dont il dispose et de la date limite pour les prendre. Tant que cette information n’a pas été communiquée, l’employeur ne peut opposer la perte des congés, même après l’écoulement du délai de 15 mois.
Oui, mais uniquement dans un cadre strict. En dehors des cas où le report est légalement obligatoire, l’employeur peut refuser une demande de report si le salarié a eu une possibilité réelle et effective de prendre ses congés dans les délais impartis.
En revanche, ce refus doit être motivé et ne peut être fondé sur une simple convenance organisationnelle. Si l’employeur refuse le report alors qu’il a lui-même empêché la prise des congés ou qu’il n’a pas respecté son obligation d’information, ce refus peut être contesté devant le conseil de prud’hommes, avec un risque de condamnation.