En matière de droit locatif, l’exécution d’une décision d’expulsion constitue une phase sensible où se rencontrent les impératifs de justice, la protection du domicile et l’ordre public. Lorsqu’un locataire refuse de quitter les lieux malgré une décision judiciaire exécutoire, le propriétaire ne peut en aucun cas recourir à la force de manière autonome.
Le concours de la force publique, encadré par le Code des procédures civiles d'exécution, devient alors indispensable. Cette intervention n’est possible qu’après réquisition formelle adressée au préfet, lequel détient seul le pouvoir d’autoriser l’intervention des forces de l’ordre.
Entre délai légal, trêve hivernale, et engagement de la responsabilité de l’État, cette procédure constitue un enchevêtrement de règles visant à concilier les droits du bailleur et la dignité du locataire. Cet article expose le déroulé précis de cette procédure, ses fondements juridiques, ainsi que les voies de recours ouvertes au propriétaire en cas de refus préfectoral.
Une fois la résiliation judiciaire du bail prononcée par le juge des contentieux de la protection (JCP), la décision doit être signifiée par un huissier de justice au locataire. Ce dernier dispose alors d’un délai d’appel d’un mois.
En l’absence d’appel ou à l’issue de la procédure, l’huissier délivre un commandement de quitter les lieux, conformément à l’article L. 411-1 du Code des procédures civiles d’exécution. Ce document impose au locataire de libérer le logement dans un délai de deux mois (article L. 412-1).
Si, après expiration du délai de deux mois, le locataire se maintient dans les lieux, l’huissier peut effectuer une première tentative d’expulsion. En cas de résistance du locataire ou de risque de trouble à l’ordre public, l’huissier peut solliciter le concours des forces de l’ordre.
L’huissier adresse alors au préfet une réquisition de concours de la force publique, comme le prévoit l’article L. 153-2 du Code des procédures civiles d’exécution. Cette demande doit être motivée et justifier l’impossibilité d’exécuter la décision sans le soutien des autorités.
L’article R. 153-1 impose à l’huissier de relater précisément les démarches déjà entreprises et les obstacles rencontrés. Le préfet dispose de deux mois pour répondre. Le silence préfectoral vaut refus implicite, ce qui engage potentiellement la responsabilité de l’État.
Conformément à l’article L. 153-1 du Code des procédures civiles d’exécution, si l’État refuse sans motif valable d’accorder le concours de la force publique, le bailleur peut demander réparation du préjudice subi. Ce recours est possible devant la juridiction administrative, sur le fondement de la responsabilité sans faute de l’État, en raison du préjudice anormal et spécial causé par l’inaction préfectorale.
Pour que la responsabilité de l’État soit engagée, plusieurs conditions doivent être réunies :
L’article L. 412-6 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit une suspension des expulsions locatives entre le 1er novembre et le 31 mars de l’année suivante. Cette période, appelée trêve hivernale, vise à protéger les occupants vulnérables face aux rigueurs climatiques de l’hiver. Même en présence d’un jugement d’expulsion exécutoire et d’un accord préfectoral pour le concours de la force publique, aucune expulsion matérielle ne peut être réalisée pendant cette période.
Cette interdiction concerne tant les logements loués à titre d’habitation principale que certains logements meublés, et elle s’impose aux huissiers de justice comme aux forces de l’ordre. Toutefois, la loi prévoit des exceptions strictement encadrées, permettant l’expulsion durant la trêve :
Ainsi, la trêve hivernale ne constitue pas une protection absolue mais une suspension temporaire de l’exécution forcée, relevant de l’ordre public social.
Dans certains cas, la législation impose au bailleur ou aux autorités publiques une obligation de relogement du locataire avant toute expulsion. Cette exigence vise les personnes bénéficiant de protections spécifiques, telles que :
Ces protections sont encadrées notamment par l’article L. 412-4 du Code des procédures civiles d’exécution, qui oblige le juge à s’assurer des conditions de relogement avant de fixer la date d’expulsion. En l’absence d’une telle solution, le juge peut accorder des délais supplémentaires d’exécution pouvant aller jusqu’à trois ans.
Par conséquent, cette obligation de relogement constitue un frein temporaire à la mise en œuvre du concours de la force publique. Tant que cette condition n’est pas remplie, le préfet peut légitimement refuser l’intervention des forces de l’ordre, ce qui peut retarder considérablement l’expulsion, même en présence d’un jugement définitif.
Ces limites traduisent la volonté du législateur de concilier l’exécution des décisions de justice avec le respect de la dignité humaine et les exigences du droit au logement.
Pour les cas d’impayés, la procédure débute par un commandement de payer (article 24 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989), signifié par huissier. Le propriétaire doit en informer la CCAPEX (Commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives), qui peut intervenir pour éviter l’expulsion.
En l’absence de règlement de la dette, l’affaire est portée devant le tribunal. Le bailleur fait délivrer une assignation en résiliation du bail. La préfecture doit être informée de cette audience, conformément à l’article 24 V de la loi du 6 juillet 1989.
Après jugement, la décision est signifiée, et l’huissier délivre le commandement de quitter les lieux, ouvrant le délai de deux mois mentionné précédemment.
Si le locataire reste en place, l’huissier adresse la réquisition au préfet, en joignant toutes les pièces justificatives de la procédure. L’expulsion pourra alors être mise en œuvre par les forces de police ou de gendarmerie, sur autorisation préfectorale.
Il est strictement interdit au bailleur de procéder lui-même à l’expulsion de son locataire, même en présence d’une décision de justice favorable. Cette interdiction découle du principe fondamental de non-récupération forcée d’un bien immobilier sans le concours de l’autorité publique.
Le propriétaire ne peut donc ni changer les serrures, ni retirer les biens du locataire, ni encore moins employer des moyens de pression ou des menaces pour obtenir le départ de l’occupant.
Toute expulsion opérée en dehors des voies légales constitue une violation de domicile, sanctionnée par l’article 226-4-2 du Code pénal, introduit par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 dite loi ALUR. Cette infraction est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Ces sanctions visent à garantir le respect des droits fondamentaux du locataire, notamment son droit au respect du domicile, qui bénéficie d’une protection constitutionnelle et conventionnelle (article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme).
En cas d’expulsion irrégulière, le locataire peut intenter une action en justice pour obtenir des dommages-intérêts. Il pourra également solliciter la réintégration dans le logement, avec le soutien du juge judiciaire. Le bailleur fautif risque donc, au-delà des poursuites pénales, une condamnation civile pour trouble de jouissance et préjudice moral, voire la perte du bénéfice de la clause résolutoire initialement invoquée.
En résumé, seul un huissier de justice mandaté, assisté au besoin de la force publique sur autorisation préfectorale, peut légalement mettre en œuvre une expulsion. Tout contournement de cette procédure constitue une violation grave du droit et expose le bailleur à des conséquences judiciaires sévères.
Le recours au concours de la force publique dans le cadre d’une procédure d’expulsion locative représente l’ultime levier offert au propriétaire confronté à l’inexécution d’une décision de justice. Il illustre la nécessaire médiation entre la force du droit et la force tout court, que seul l’État est légitime à exercer.
Toutefois, ce mécanisme, bien que prévu par les textes, n’est pas automatique : son obtention dépend de la diligence de l’huissier, du respect scrupuleux des formalités procédurales et de l’appréciation préfectorale.
En cas de refus injustifié, la responsabilité de l’État peut être engagée, ouvrant droit à réparation pour le bailleur lésé. Dans ce contexte, il demeure essentiel de connaître ses droits, les délais applicables et les recours disponibles, afin de garantir l’effectivité des décisions de justice sans enfreindre les règles protectrices du droit au logement.
Le concours de la force publique peut être sollicité lorsque toutes les voies légales d’expulsion ont échoué et que le locataire refuse de quitter les lieux malgré une décision de justice exécutoire. Cette demande intervient après l’expiration du délai de deux mois suivant la signification du commandement de quitter les lieux (article L. 412-1 du Code des procédures civiles d'exécution). L’huissier de justice, chargé de l’exécution, établit alors une réquisition adressée au préfet, justifiant de l’inaction du locataire et de la nécessité d’une intervention policière. Il ne peut être question d’une expulsion sans autorisation préfectorale si le locataire résiste physiquement ou verbalement, ou si des risques de troubles à l’ordre public sont identifiés.
La procédure débute par la rédaction, par l’huissier de justice, d’une demande formelle au préfet territorialement compétent (article R. 153-1 du Code des procédures civiles d’exécution). Ce document doit décrire de manière précise :
Oui. En vertu de l’article L. 153-1 du Code des procédures civiles d’exécution, l’État engage sa responsabilité lorsqu’il refuse d’accorder le concours de la force publique sans motif légitime et que ce refus cause au propriétaire un préjudice anormal et spécial. Le bailleur peut alors demander une indemnisation pour les loyers perdus ou l’impossibilité de relouer son bien. Ce recours se fait devant le tribunal administratif, et il doit prouver :
En principe, l’expulsion est interdite entre le 1er novembre et le 31 mars, période dite de trêve hivernale (article L. 412-6 du Code des procédures civiles d’exécution). Même avec un jugement d’expulsion et une autorisation préfectorale, l’huissier ne peut pas intervenir durant cette période, sauf exception. Parmi les cas dérogatoires figurent notamment :
Absolument pas. Le recours à l’auto-expulsion est formellement interdit. Toute tentative d’éviction sans décision judiciaire, sans huissier et sans concours légal des forces de l’ordre constitue une violation de domicile, punie par l’article 226-4-2 du Code pénal. Le locataire peut déposer plainte, et le bailleur s’expose à des sanctions pénales, ainsi qu’à une demande de dommages-intérêts. La seule voie possible est de respecter strictement les étapes légales : commandement de payer, assignation en justice, décision d’expulsion, commandement de quitter, réquisition préfectorale, puis expulsion légale. Toute autre voie est illégale, même en cas de loyers impayés répétés.