Le vieillissement de la population active constitue un enjeu majeur du droit social contemporain. Allongement des carrières, recul de l’âge légal de départ à la retraite et maintien dans l’emploi des salariés âgés exposent nécessairement les entreprises à de nouvelles problématiques, notamment en matière de santé au travail. Parmi elles, la question des maladies professionnelles des seniors occupe une place particulière.
Ces pathologies, souvent liées à une exposition prolongée à des risques professionnels, peuvent se déclarer tardivement, parfois bien après les premières années d’activité.
Conscient du risque que ces situations fassent peser sur l’employabilité des salariés âgés, le législateur est intervenu afin d’éviter que la reconnaissance de maladies professionnelles à effet différé ne constitue un frein à l’embauche ou au maintien dans l’emploi des seniors.
C’est dans ce contexte qu’est intervenue la loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023, qui a modifié les règles de calcul du taux de cotisation accidents du travail et maladies professionnelles (AT/MP).
L’objectif affiché est clair : mutualiser le coût de certaines maladies professionnelles afin d’éviter que leur prise en charge ne pèse exclusivement sur l’entreprise employant le salarié au moment de la déclaration. Ce mécanisme, toujours en vigueur en 2025, soulève néanmoins des interrogations juridiques et pratiques, tant pour les employeurs que pour les salariés.
1. La notion de maladie professionnelle et ses conditions de reconnaissance
2. Le lien entre l’allongement des carrières et les maladies professionnelles des seniors
3. Le taux de cotisation AT/MP : principes de calcul et logique de sinistralité
4. La mutualisation des coûts des maladies professionnelles à effet différé
5. Les conséquences juridiques pour les employeurs et les salariés seniors
Une maladie est qualifiée de maladie professionnelle lorsqu’elle résulte directement de l’exposition d’un salarié à un risque lié à son activité professionnelle ou aux conditions dans lesquelles il exerce son emploi.
Cette définition repose sur une logique de lien de causalité entre le travail et l’altération de la santé, indépendamment de l’âge du salarié concerné.
Les salariés seniors, du fait de carrières plus longues, sont mécaniquement plus exposés à ces risques, notamment lorsque l’exposition est cumulative ou répétée sur de nombreuses années.
La reconnaissance peut intervenir selon deux voies juridiques distinctes :
Cette seconde hypothèse concerne fréquemment les maladies à effet différé, qui touchent de manière plus marquée les salariés en fin de carrière.
Certaines pathologies professionnelles, telles que les troubles musculo-squelettiques, les affections respiratoires ou les maladies liées à l’exposition à des substances dangereuses, se développent lentement. Elles peuvent rester silencieuses pendant des années avant de se manifester.
Ainsi, plus la durée d’exposition est longue, plus le risque de déclaration tardive est élevé. Les salariés seniors sont donc particulièrement concernés, non pas en raison de leur âge en tant que tel, mais en raison de leur historique professionnel.
Il convient de rappeler que toute discrimination fondée sur l’âge ou l’état de santé est strictement interdite, notamment en matière de recrutement, de formation ou de rupture du contrat de travail, conformément à l’article L1132-1 du Code du travail.
Un employeur ne peut ni refuser d’embaucher un salarié senior, ni rompre son contrat, au seul motif qu’il serait susceptible de déclarer une maladie professionnelle. Cette protection juridique s’inscrit dans une logique d’égalité de traitement et de maintien dans l’emploi.
Toute entreprise est tenue de verser une cotisation au titre des accidents du travail et maladies professionnelles, conformément aux articles L242-5 et suivants du Code de la sécurité sociale.
Cette cotisation est calculée à partir d’un taux, déterminé notamment en fonction :
Traditionnellement, ce mécanisme vise à encourager les entreprises à investir dans la prévention des risques professionnels. Plus la sinistralité est élevée, plus le taux de cotisation augmente, incitant ainsi l’employeur à améliorer les conditions de travail.
La loi n° 2023-270 du 14 avril 2023, dite LFRSS 2023, a introduit une dérogation à la logique classique de responsabilisation individuelle. Désormais, le coût de certaines maladies professionnelles à effet différé est mutualisé entre l’ensemble des entreprises.
Autrement dit, ces maladies ne sont plus imputées exclusivement à l’entreprise employant le salarié au moment de leur reconnaissance, mais font l’objet d’une répartition collective.
Le législateur a expressément justifié ce dispositif par la volonté de sécuriser l’embauche et le maintien dans l’emploi des salariés âgés, en évitant que les employeurs ne renoncent à recruter des seniors par crainte d’une hausse de leur taux AT/MP.
Ce choix traduit une approche plus solidaire du financement des risques professionnels, reposant sur l’idée que certaines expositions résultent de parcours professionnels multiples et non d’un seul employeur.
Depuis la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025, le mécanisme de mutualisation a été étendu aux bénéficiaires de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH).
Ainsi, depuis le 28 février 2025, la mutualisation des coûts concerne :
Cette extension confirme la volonté du législateur de limiter les freins économiques à l’emploi des publics considérés comme plus exposés aux risques de santé au travail.
La mutualisation peut être perçue comme une atténuation du principe selon lequel le taux AT/MP reflète directement la sinistralité propre à l’entreprise. En effet, certaines maladies professionnelles ne produisent plus d’impact direct sur le taux individuel.
Cette évolution soulève des interrogations quant à son effet sur la politique de prévention, même si aucune étude ne permet, à ce jour, d’établir une diminution effective des efforts de prévention des employeurs.
Il est essentiel de rappeler que cette mutualisation n’exonère en aucun cas l’employeur de ses obligations en matière de santé et de sécurité, notamment celles prévues par les articles L4121-1 et suivants du Code du travail.
L’évaluation des risques, la mise à jour du document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) et la mise en œuvre de mesures de prévention adaptées demeurent juridiquement obligatoires, quel que soit le mode de calcul du taux AT/MP.
La mutualisation vise à sécuriser les décisions de recrutement et de maintien dans l’emploi des seniors, en réduisant l’impact financier de maladies professionnelles déclarées tardivement. Elle s’inscrit dans une logique de gestion collective du risque, sans supprimer la responsabilité individuelle en matière de prévention.
Pour les salariés, ce dispositif ne modifie en rien leurs droits à la reconnaissance d’une maladie professionnelle, ni leur prise en charge par la Sécurité sociale. Il contribue indirectement à limiter les discriminations liées à l’âge, en réduisant les incitations économiques négatives pour les employeurs.
La mutualisation du coût des maladies professionnelles des seniors, instaurée par la loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023 et confirmée par les réformes ultérieures, marque une évolution significative du droit de la protection sociale et de la logique de tarification des accidents du travail et maladies professionnelles (AT/MP). En rompant partiellement avec le principe traditionnel d’imputation individuelle de la sinistralité à l’entreprise employeur, le législateur a fait le choix d’une approche collective et solidaire, destinée à répondre à un enjeu central du marché du travail : le maintien et le retour à l’emploi des salariés seniors.
Sur le plan juridique, ce dispositif reconnaît implicitement la spécificité des maladies professionnelles à effet différé, qui résultent rarement d’un seul poste ou d’un seul employeur, mais bien souvent d’une exposition cumulative à des risques professionnels sur l’ensemble d’une carrière. La mutualisation apparaît alors comme un mécanisme de rééquilibrage, visant à éviter que la reconnaissance tardive d’une pathologie professionnelle ne fasse peser une charge financière disproportionnée sur une entreprise donnée, au détriment de la non-discrimination liée à l’âge, principe fondamental consacré par l’article L1132-1 du Code du travail.
Pour autant, cette évolution ne doit pas être interprétée comme un affaiblissement des obligations de prévention qui incombent aux employeurs. Le cadre juridique demeure inchangé en ce qui concerne le devoir de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, tel qu’il résulte des articles L4121-1 et suivants du Code du travail.
La mutualisation du coût n’exonère ni de l’évaluation des risques, ni de la mise en œuvre de mesures de prévention adaptées, ni de la responsabilité civile ou pénale susceptible d’être engagée en cas de manquement.
Du point de vue des salariés, et en particulier des seniors, ce dispositif constitue un levier indirect de sécurisation des parcours professionnels. Il contribue à limiter les stratégies d’éviction ou de non-recrutement fondées sur des considérations économiques liées au risque AT/MP, sans porter atteinte au droit à la reconnaissance et à l’indemnisation des maladies professionnelles par la Sécurité sociale. L’extension récente de ce mécanisme aux travailleurs handicapés, dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025, confirme d’ailleurs une volonté politique plus large de favoriser l’inclusion durable des publics exposés à des risques accrus de désinsertion professionnelle.
En définitive, la mutualisation des coûts des maladies professionnelles des seniors s’inscrit dans une tension permanente entre responsabilisation individuelle des entreprises et solidarité interprofessionnelle. Si son efficacité à long terme en matière de prévention reste à observer, elle constitue d’ores et déjà un signal juridique fort : celui d’un droit du travail et de la sécurité sociale qui s’adapte aux réalités des carrières longues et au vieillissement de la population active, tout en cherchant à concilier justice sociale, performance économique et protection de la santé au travail.
Les maladies professionnelles touchant les seniors sont souvent liées à une exposition prolongée aux risques professionnels tout au long de la carrière. Certaines pathologies, dites à effet différé, peuvent se déclarer plusieurs années après l’exposition initiale.
Le législateur a donc estimé qu’il serait juridiquement inéquitable de faire peser leur coût sur un seul employeur, alors même que la maladie résulte d’un parcours professionnel global.
La mutualisation signifie que le coût financier de certaines maladies professionnelles n’est plus directement imputé à l’entreprise employant le salarié au moment de la reconnaissance.
Ces coûts sont répartis entre l’ensemble des entreprises, via un mécanisme collectif intégré au calcul du taux de cotisation AT/MP, conformément aux articles L242-5 et suivants du Code de la sécurité sociale.
Non. La mutualisation vise principalement les maladies professionnelles à effet différé, c’est-à-dire celles dont l’origine est ancienne et progressive.
Les accidents du travail ou les maladies directement liées à une exposition récente peuvent toujours impacter le taux individuel de l’entreprise, selon les règles classiques de sinistralité.
Absolument pas. L’employeur reste tenu à une obligation de sécurité et de prévention, prévue par les articles L4121-1 et suivants du Code du travail.
Même si le coût de certaines maladies est mutualisé, l’entreprise demeure responsable de l’évaluation des risques, de la mise à jour du DUERP et de la protection effective de la santé des salariés.
L’objectif poursuivi est de limiter les freins économiques à l’embauche ou au maintien dans l’emploi des salariés âgés, en réduisant l’impact financier potentiel d’une maladie professionnelle déclarée tardivement.
S’il ne garantit pas à lui seul une amélioration de l’emploi des seniors, ce mécanisme s’inscrit dans une stratégie juridique plus large de lutte contre les discriminations liées à l’âge, tout en sécurisant les employeurs.