L’acquisition des congés payés pendant un arrêt maladie a longtemps constitué un point de friction entre le droit français et le droit de l’Union européenne. Pendant des années, le Code du travail opérait une distinction stricte entre les arrêts de travail d’origine professionnelle et ceux d’origine non professionnelle, excluant ces derniers du calcul des droits à congés payés.
Cette position nationale, jugée incompatible avec les exigences européennes relatives au droit au repos annuel effectif, a conduit à une succession de décisions judiciaires majeures, jusqu’à une refonte législative profonde.
Sous l’impulsion de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et de la Cour de cassation, le législateur français a été contraint d’adapter son droit interne. Cette évolution s’est concrétisée par la loi du 22 avril 2024 portant adaptation du droit de l’Union européenne, dite Loi DDADUE, entrée en vigueur le 24 avril 2024. Depuis cette date, les règles applicables à l’acquisition et au report des congés payés pendant un arrêt maladie ont été profondément modifiées, imposant aux entreprises une mise en conformité immédiate de leurs pratiques RH.
Désormais, l’arrêt maladie, qu’il soit d’origine professionnelle ou non, ne constitue plus un obstacle automatique à l’acquisition de congés payés. Cette transformation juridique, complétée par une jurisprudence constante de la Cour de cassation en 2024 et 2025, soulève toutefois de nombreuses interrogations pratiques : combien de jours sont acquis, dans quelles limites, comment fonctionne le report, quelles sont les obligations d’information de l’employeur, et quels sont les risques contentieux en cas de manquement.
Cet article propose une analyse complète et juridiquement sourcée des règles applicables à l’acquisition des congés payés pendant un arrêt maladie, afin de permettre aux employeurs comme aux salariés de maîtriser les nouvelles exigences légales et jurisprudentielles.
1. Le fondement juridique de la réforme des congés payés en arrêt maladie
2. L’alignement du droit français sur le droit de l’Union européenne
3. L’acquisition des congés payés en cas de maladie non professionnelle
4. L’acquisition des congés payés en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle
5. Le nombre de jours de congés payés acquis pendant l’arrêt
6. Le report des congés payés non pris en raison de l’arrêt maladie
7. Le point de départ et la durée du délai de report
8. L’arrêt maladie survenant pendant les congés payés
9. La nouvelle obligation d’information à la charge de l’employeur
10. La portée rétroactive des nouvelles règles et les délais pour agir
Le droit au congé annuel payé constitue un principe fondamental du droit social européen, consacré notamment par l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La CJUE a rappelé à plusieurs reprises que ce droit ne peut être subordonné à l’exécution effective d’un travail lorsque le salarié est empêché de travailler pour des raisons indépendantes de sa volonté, telles que la maladie.
En France, l’ancien article L3141-3 du Code du travail excluait l’arrêt maladie non professionnel du temps de travail effectif, empêchant ainsi toute acquisition de congés payés pendant cette période. Cette exclusion a été écartée par la Cour de cassation dans plusieurs arrêts du 13 septembre 2023, afin d’assurer la conformité du droit interne au droit de l’Union.
La Loi DDADUE, promulguée le 22 avril 2024, a modifié en profondeur les articles L3141-5, L3141-5-1, L3141-19-1 et suivants du Code du travail. Depuis le 24 avril 2024, ces dispositions sont pleinement applicables et s’imposent à l’ensemble des employeurs, sans distinction de taille ou de secteur d’activité.
Désormais, l’arrêt de travail pour maladie ou accident non professionnel est assimilé à du temps de travail effectif pour l’acquisition des congés payés, conformément à l’article L3141-5-1 du Code du travail. Cette assimilation constitue une rupture nette avec l’ancien régime juridique.
Le salarié en arrêt maladie non professionnel acquiert :
Cette limitation distingue le régime applicable aux arrêts non professionnels de celui applicable aux arrêts d’origine professionnelle, sans pour autant remettre en cause le principe même de l’acquisition.
Avant la réforme, l’acquisition de congés payés en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle était limitée à une durée d’un an. Cette restriction a été supprimée par la Loi DDADUE.
Conformément à l’article L3141-5 du Code du travail, le salarié acquiert désormais des congés payés sans limitation de durée, tant que l’arrêt de travail se poursuit.
Le salarié en arrêt pour AT/MP acquiert :
Lorsque le salarié n’a pas pu prendre ses congés payés en raison de son arrêt de travail, il bénéficie d’un droit au report. L’article L3141-19-1 du Code du travail fixe une période de report de 15 mois, pendant laquelle les congés peuvent être utilisés.
Cette période constitue un équilibre entre le droit au repos du salarié et les impératifs de sécurité juridique de l’employeur.
Un accord d’entreprise, un accord d’établissement ou une convention collective peut prévoir une durée de report supérieure à 15 mois, conformément aux articles L3141-20 et L3141-21-1 du Code du travail. En revanche, aucune disposition ne peut réduire cette durée minimale.
Lorsque l’arrêt de travail dure moins d’un an, le délai de report commence à courir à compter du moment où le salarié reçoit, lors de sa reprise, les informations obligatoires de l’employeur relatives :
Lorsque le contrat est suspendu depuis au moins un an, le délai de report débute à la fin de la période de référence au titre de laquelle les congés ont été acquis, conformément à l’article L3141-19-2 du Code du travail. Toutefois, ce délai est suspendu tant que l’employeur n’a pas satisfait à son obligation d’information.
Par un arrêt du 10 septembre 2025 (Cass. soc., n°23-22732), la Cour de cassation a jugé que le salarié qui tombe malade pendant ses congés payés et qui notifie son arrêt à l’employeur bénéficie du report des congés concernés.
Cette solution consacre le principe selon lequel le congé payé doit permettre un repos effectif, incompatible avec l’état de maladie, et aligne définitivement le droit français sur la jurisprudence européenne.
Depuis la réforme, l’article L3141-19-3 du Code du travail impose à l’employeur d’informer le salarié, dans le mois suivant sa reprise, sur :
Cette information peut être délivrée par tout moyen conférant date certaine, notamment via le bulletin de paie.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 13 novembre 2025 (n°24-14084), a rappelé que l’employeur ne peut opposer la perte des congés payés tant qu’il n’a pas démontré avoir effectivement permis au salarié d’exercer son droit. À défaut, le report demeure ouvert, y compris au-delà de la période de 15 mois.
La Loi DDADUE prévoit une rétroactivité des droits à congés payés pour les arrêts maladie survenus depuis le 1er décembre 2009, sous réserve des limites fixées par le législateur et la jurisprudence.
La réforme issue de la loi du 22 avril 2024 dite Loi DDADUE marque un tournant décisif dans le régime juridique des congés payés en cas d’arrêt maladie. En mettant fin à une distinction longtemps critiquée entre maladie professionnelle et non professionnelle, le législateur français a définitivement aligné le Code du travail sur les exigences du droit de l’Union européenne, telles qu’interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne et reprises par la Cour de cassation. Désormais, l’arrêt de travail, quelle qu’en soit l’origine, ne peut plus être analysé comme une parenthèse privant le salarié de son droit au repos annuel.
L’acquisition de congés payés pendant l’arrêt maladie, le droit au report des congés non pris, l’instauration d’une période de report de 15 mois et le renforcement des obligations d’information à la charge de l’employeur traduisent une conception renouvelée du droit aux congés payés.
Ce droit n’est plus seulement un avantage lié à la présence effective dans l’entreprise, mais une composante essentielle de la protection de la santé et de la dignité du salarié. La jurisprudence récente, notamment les arrêts des 10 septembre 2025 et 13 novembre 2025, illustre cette exigence d’effectivité en rappelant que la perte des congés ne peut être opposée qu’à la condition que l’employeur ait accompli toutes les diligences nécessaires pour permettre leur prise.
Pour les entreprises, ces évolutions imposent une révision approfondie des pratiques de gestion des absences. Le suivi des droits à congés pendant les arrêts maladie, la communication systématique des informations légales au retour du salarié, ainsi que l’anticipation des risques de report et de rétroactivité deviennent des enjeux majeurs de conformité sociale.
À défaut, l’employeur s’expose à des contentieux prud’homaux portant sur des rappels de congés payés ou des indemnités compensatrices, parfois sur des périodes étendues.
Pour les salariés, la réforme constitue un renforcement tangible de leurs droits, en particulier pour ceux confrontés à des arrêts maladie de longue durée. Elle garantit que la maladie ne peut entraîner une perte automatique de droits sociaux et réaffirme le principe selon lequel le congé payé doit permettre un repos effectif, condition indispensable à la préservation de la santé.
Dans ce nouveau paysage juridique, la maîtrise des règles issues de la Loi DDADUE et de la jurisprudence récente est devenue indispensable. Sur defendstesdroits.fr, l’objectif demeure d’offrir aux justiciables une information juridique fiable, actualisée et accessible, afin de leur permettre d’exercer pleinement leurs droits ou de sécuriser leurs obligations, dans un domaine du droit social désormais profondément renouvelé.
Oui. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 22 avril 2024 dite Loi DDADUE, le principe est désormais clair : l’arrêt de travail pour maladie, qu’il soit d’origine professionnelle ou non professionnelle, est assimilé à du temps de travail effectif pour l’acquisition des congés payés. Cette évolution résulte de l’alignement du droit français sur le droit de l’Union européenne, tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne et consacré par la Cour de cassation.
Concrètement, le salarié continue d’acquérir des congés payés pendant son arrêt, sans que l’employeur puisse s’y opposer, dès lors que l’arrêt est médicalement justifié et régulièrement déclaré.
Oui, une distinction demeure quant au rythme d’acquisition des congés payés. En cas de maladie ou d’accident non professionnel, le salarié acquiert 2 jours ouvrables par mois, dans la limite de 24 jours ouvrables par an, soit 4 semaines de congés payés. En revanche, en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, l’acquisition est plus favorable : 2,5 jours ouvrables par mois, sans limitation de durée, soit jusqu’à 30 jours ouvrables par an.
Cette différence, prévue par les articles L3141-5 et L3141-5-1 du Code du travail, permet de tenir compte du lien direct entre l’arrêt et l’activité professionnelle, tout en garantissant un socle de droits commun aux deux situations.
Lorsque le salarié est dans l’impossibilité de prendre ses congés payés en raison d’un arrêt de travail, il bénéficie d’un droit au report. La loi prévoit une période de report minimale de 15 mois, durant laquelle les congés peuvent être utilisés après la reprise du travail.
Ce mécanisme vise à éviter la perte automatique des droits à congés et à garantir l’effectivité du droit au repos. Il s’applique aussi bien aux congés acquis avant l’arrêt qu’à ceux acquis pendant l’arrêt, y compris lorsque la maladie survient au cours des congés payés, sous réserve d’une information de l’employeur.
Le point de départ du délai de report dépend de la durée de l’arrêt de travail. Si l’arrêt dure moins d’un an, le délai commence à courir à compter du moment où l’employeur informe le salarié, lors de sa reprise, du nombre de jours de congés disponibles et de la date limite pour les prendre.
Si l’arrêt dure plus d’un an, le délai débute à la fin de la période de référence au titre de laquelle les congés ont été acquis, mais il est suspendu tant que l’employeur n’a pas rempli son obligation d’information. En pratique, cette suspension protège le salarié contre la perte de ses droits en cas de carence de l’employeur.
L’employeur est soumis à une obligation renforcée d’information, prévue par l’article L3141-19-3 du Code du travail. Il doit informer le salarié, dans le mois suivant sa reprise, du solde de congés payés et de la date limite de prise.
À défaut, la jurisprudence de la Cour de cassation considère que l’employeur ne peut pas opposer la perte des congés payés, même après l’expiration du délai de report de 15 mois. Ce manquement expose l’entreprise à des contentieux prud’homaux, pouvant aboutir à des rappels de congés payés ou à des indemnités compensatrices, notamment en cas de rupture du contrat de travail.